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LE ROYAUME - EMMANUEL CARRERE

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L'histoire : au début, c'est l'histoire d'un écrivain, Emmanuel Carrère, parlant à la première personne et racontant (sans se faire de cadeaux) l'épisode "honteux" de sa conversion au christianisme. La crise mystique dure trois ans. La "Révélation" a lieu dans les années 1990. Elle fait suite à une sévère dépression et le traitement est de taille : Emmanuel Carrère suit avec ferveur son rigoureux programme de jeune chrétien : prières, lecture et commentaires des versets de l'Evangile selon saint Jean chaque matin (dans son bureau de la rue du Temple!), messe deux fois par jour et alimentation à base de riz complet, plus deux séances de psychanalyse par semaine (on ne sait jamais).

Le traitement porte ses fruits. On ne sait pas très bien si c'est grâce à la foi, à la psychanalyse ou à l'écriture d'un nouveau livre (une biographie de Philip K. Dick, lui-même un brin mystique à la fin de sa vie). Toujours est-il que le romancier va mieux. Il abandonne ce qu'il considère comme une "maladie – alors que vraiment, je n'appartenais pas à un groupe à risques". Il archive dans un carton ses notes sur l'évangile selon saint Jean au fond d'un placard et passe à autre chose.

"C'est quand même bizarre, non ?"

Quinze ans plus tard, Emmanuel  Carrère décide de s'intéresser de nouveau au christianisme, et d'en faire un livre. "C'est une chose étrange, quand on y pense, que des gens normaux, intelligents, puissent croire à un truc aussi insensé que la religion chrétienne" s'interroge l'un de ses amis lors d'une soirée un peu arrosée.

Comment se fait-il qu'aujourd'hui encore, des gens croient à l'histoire d'un juif d'il y a deux mille ans né d'une vierge, ressuscité trois jours après avoir été crucifié, et qui va revenir juger les vivants et les morts… "Or, un tas de gens y croient, et ces gens ne passent pas pour des fous. Même sans partager leur croyance, on les prend au sérieux. Ils ont un rôle social (…) leur lubie cohabite avec des activités tout à fait sensées. Les Présidents de la République rendent visite à leur chef avec déférence. C'est quand même bizarre, non ?"

Emmanuel Carrère enquête

Comprendre les raisons du succès d'une religion fondée sur des évènements ou des principes dont la plupart sont des "insultes au bon sens", voilà de quoi motiver l'enquête. Emmanuel Carrère est un enquêteur. Il décide donc de creuser cette bizarrerie. Constatant qu'il est "très difficile de faire parler les gens de leur foi" il se tourne vers un (ex)chrétien qu'il connait bien : lui-même. "Je reconstituerai l'entrelacs de défaites, de haine de soi, de peur panique devant la vie qui m'a conduit à croire. Et peut-être qu'alors, je ne me raconterai plus d'histoires."

La boucle est bouclée. Il exhume ses vieux carnets de notes de sa période mystique et se lance dans une ambitieuse entreprise : celle de raconter l'histoire des premiers chrétiens, en s'intéressant de plus près à deux figures : celle de Paul, le juif et celle de Luc, le médecin grec, tous deux convertis, agents actifs de la propagation de la parole du Christ et pour une grande part à l'origine de la formation des premières communautés chrétiennes au Moyen Orient et jusqu'aux portes de l'Europe autour des années 50 du Premier siècle.

"Une extravagante inversion des valeurs"

Comment réussissent-ils à convaincre, comment le christianisme prend-il racine, qu'est-ce qui dans cette nouvelle religion fait adhérer ? "Je suis convaincu", affirme Emmanuel Carrère, "que la force de persuasion de la secte chrétienne tenait en grande partie à sa capacité d'inspirer des gestes sidérants, des gestes – et pas seulement des paroles – qui allaient à l'inverse du comportement humain normal".  

Préférer être plutôt pauvre que riche, faible que fort, malade que bien-portant, dominé plutôt que dominant, "abdiquer une position de force", cette extravagante inversion des valeurs a de quoi surprendre. "Et puis on commence à comprendre. On commence à voir l'intérêt, c'est-à-dire la joie, la force, l'intensité de vie qu'ils tirent de cette conduite en apparence aberrante. Alors on a plus qu'un désir, c'est de faire comme eux." Une contamination par la ferveur, en quelque sorte.

On en apprend beaucoup sur l'histoire du christianisme, et pas seulement. Dans "Le Royaume", Emmanuel Carrère interroge l'histoire et les textes : "Je suis un écrivain qui cherche à comprendre comment s'y est pris un autre écrivain". Il replace le message des évangiles et les épîtres de Paul aux premiers chrétiens dans le contexte religieux, historique et philosophique de l'époque. Pour nourrir son propos, l'écrivain fait aussi des détours par la mythologie, le stoïcisme, Saint Augustin, Ernest Renan, Nietzsche, le communisme, Pasolini et même Houellebecq,.. L'auteur des "Particules élémentaires" a d'ailleurs déclaré avoir lu deux fois "Le Royaume", et l'avoir apprécié).

"D'où tu parles, toi ?"

"Le Royaume" est un livre difficile à étiqueter. Est-ce un roman ? Pas sûr. C'est en tout cas un livre savant, touffu, dont on imagine quelle somme colossale de travail il a dû demander à son auteur, il nous avait prévenu : "Quand j'aborde un sujet, j'aime bien le prendre en tenailles". "Le Royaume" est un livre extraordinairement documenté, un peu escarpé du coup, pour celui qui ne connait pas très bien le sujet. Carrère est gentil, il glisse ici ou là des indications pour aider son lecteur (page 240, par exemple : "Rappelez-vous la Révélation d'Arès et, si vous ne vous la rappelez pas, retournez page 93 de ce livre). Tant qu'à faire, on aurait apprécié une carte et une présentation des différents protagonistes en début d'ouvrage…

Néanmoins, même si l'on est parfois à la limite de s'égarer, Emmanuel Carrère réussit la prouesse de tenir en haleine son lecteur sur un terrain de spécialistes, de toujours ramener la brebis au troupeau. Comment s'y prend-il ? En se plaçant toujours au centre du récit. C'est sa marque de fabrique : donner au lecteur en même temps que le contenu du livre, ce qui en a motivé l'écriture, la description par le menu des différentes étapes de sa fabrication, ce sur quoi il bute, ce qui l'anime et même, glissés ici et là, des détails de sa vie privée… Tout cela habilement tressé.

Si c'était un film, on appellerait ça le making-of, et de cela aussi, il s'en explique, page 383 et suivantes. Il y décrit sa méthode de travail et la défend, revendiquant le regard caméra ou la perche dans le champ. Il assume. "D'où tu parles, toi ?", c'est la rituelle question de Mai 68, "Je la trouve toujours pertinente. Pour être touché par une pensée, j'ai besoin qu'elle soit portée par une voix, qu'elle émane d'un homme, que je sache quel chemin elle s'est frayée en lui", avait-il annoncé page 168.

Emmanuel Carrère en quête

Autrement dit, si l'on en apprend autant sur l'histoire des premiers chrétiens et sur tout ce que cette religion a charrié, c'est parce qu'Emmanuel Carrère en dit tant sur lui-même, sur ses interrogations, sur sa propre relation à la spiritualité et à la foi, sur son rapport à la vie... Tout cela avec une bonne dose d'autodérision et d'humour. Ce qui compte, semble dire ce livre monumental, c'est le chemin à parcourir pour parvenir au Royaume intérieur, cette chose dont lui parlait sa marraine Jacqueline, chargée de la spiritualité de la famille, et "seul trésor vraiment désirable".

Dans un monde dominé par Google et l'immédiateté, où la réponse arrive plus vite que la question, cet attachement à la quête est une bonne raison (entre autres) de se donner la peine d'entrer dans "Le Royaume" d'Emmanuel Carrère, qui ouvre sur cette magnifique et extraordinaire conclusion : "Je ne sais pas"

 

Par Laurence Houot @LaurenceHouot Journaliste, responsable de la rubrique Livres de Culturebox

 

 

Mon commentaire.

 

Je dirai qu'Emmanuel Carrère a été , à un moment de sa vie, "touché par la grâce" Il a donc respecté le dogme "à la lettre" pendant plusieurs années ce qui à mon sens nécessite un investissement de temps important. Cet "apprentissage de la foi et de la parole biblique appliquée au jour le jour dans le sens littéral du terme colore d'un jour nouveau toutes les  actions de la vie. Ce fut une "béquille" qui  permit à l'auteur de surmonter une dépression  grave, son esprit étant en fait   "submergé"  par "une pensée unique"

 

Mais "la grâce" n'a que "visité" l'âme, elle n'a pas élu demeure. S'installera alors le doute, la lassitude et le rejet de cette croyance qu'Emmanuel égratigne en se moquant de lui-même au passage.

Pour les âmes habitées par la foi, véritable, quel que soit le culte, le dogme est entrevu comme "une liberté" et non pas comme un asservissement. Les messages des écritures ne sont pas appréhendés au sens littéral  mais ils sont intellectualisés pour traverser le temps et être en adéquation avec l'époque.

Ce ne sont pas des "pansements" ou des directives mais des instants de joie partagée et de sublimation.

Foi, philosophie, espérance, n'avons nous pas tous besoin de croire en  l'existence de quelque chose qui nous dépasse ?

Au regard  du travail de recherches en histoire, en littérature, en culture générale dont ce livre a fait  l'objet, je suis persuadée qu' Emmanuel revisitera un jour  les  écritures, l'âme apaisée !

 

Martine

 

 

 

 

 



30/05/2015
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