Bienvenue dans mon Univers

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PABLO PICASSO

Pablo Picasso (1881 - 1973)

Le maître du XXe siècle

Pablo Picasso, Autoportrait face à la mort, 1972, collection privée (DR)

Des pattes de pigeon, c’est le premier dessin connu de Pablo Ruiz Picasso (Ruiz est le nom de son père, Picasso celui de sa mère).

L'enfant, né le 25 octobre 1881 à Malaga, en Andalousie, au sud-est de l'Espagne, a voulu imiter son père, décorateur de salles à manger, qui arrêta de peindre lorsqu'il prit conscience du talent de son fils. Avant même de savoir marcher, le petit Pablo s'agrippe à son crayon, ce «lapiz» qui est le premier mot qu'il prononce.

Mais il faut se former : celui qui n'hésite pas à signer ses dessins par «Yo, el rey» («Moi, le roi») part à 14 ans à la découverte de la peinture espagnole à travers tout le pays, avant de réussir brillamment le concours d'entrée à l'école des beaux-arts de Barcelone, ville alors en pleine effervescence.

C'est le temps des premiers ateliers et de la première exposition avec des œuvres au style encore académique. Le souvenir du jeune peintre perdure dans le musée qui lui est consacré, au cœur du quartier gothique, dans la calle Moncada. Mais Paris, passage obligé de tout artiste à la Belle Époque, l'attend...

Isabelle Grégor
     
Picasso et son ami Ramon Reventos dans l'atelier de J. Vidal Ventosa en 1906 à Barcelone, Joan Vidal-Ventosa, Paris, Musée Picasso

La Belle Époque parisienne

En 1900, Montmartre est un vivier d'artistes aux têtes pleines d'idées mais aux poches vides.

Pablo Picasso, Autoportrait, 1901, musée national Picasso, Paris (DR)

À 20 ans, Picasso y voit la vie en «bleu», de la couleur dont il peint les tableaux de cette première période. 

La légende dit que l'on doit l'omniprésence de ces tons bleutés au prix imbattable d'un stock de tubes... 

Il hante alors les musées, les cabarets, les cirques et bien sûr les cafés tout en partageant une chambre avec son ami le poète Max Jacob, à peine plus argenté.

En 1904, avec des amis peintres, il installe son atelier dans un vieux bâtiment délabré, le Bateau-Lavoir.

Un jour, une jeune fille vient s'y abriter de l'orage : il s'agit de Fernande Olivier. Elle sera son premier amour et son premier modèle.

Les toiles deviennent roses ! Les amateurs commencent à apprécier son style, comme Ambroise Vollard ou Léo et Gertrude Stein qui lui achètent un lot d’œuvres.

La fin de la vie de bohème n'est pas loin !

«Les autres parlent, moi je travaille»

Chacun connaît le teint sombre et les grands yeux noirs de l'artiste. Mais l’on sait finalement peu de chose sur sa personnalité profonde.

S'il s'est essayé quelque temps à l'écriture avant-guerre, produisant poèmes et pièces de théâtre, c'est surtout à travers son œuvre picturale et sculptée qu'il a voulu parler de lui. On dit qu'il était finalement plutôt solitaire, capable de travailler des journées entières en silence avant d'entrer dans des colères devenues légendaires.

Mais il savait aussi faire preuve de tendresse, notamment avec les enfants, et pardonner à ses amis les pires fautes, comme l'illustre un souvenir du photographe Paul Brassaï.

Un photographe maladroit

Paul Brassaï entreprend de photographier la sculpture L'Homme à l'agneau, dans l'atelier de Picasso :
Je reste en tête à tête avec le berger, qui me donne beaucoup plus de mal que les autres statues. Chaque fois, pour le tourner, je le prends délicatement par la taille car la brebis, qui fait des soubresauts dans mes bras, est bien fragile... [...] je le fais pivoter d'un quart de cercle lorsque, avec un bruit sec, j'entends tomber et se briser sur le socle, en plusieurs morceaux, une des pattes de l'agneau […].
La première émotion passée, je me décide à prévenir Picasso. Je sais qu'il considère, et avec raison, L'Homme à l'agneau comme l'une de ses œuvres maîtresses. Quelle sera sa réaction ? Il va certainement piquer une de ses violentes colères noires que, personnellement, je n'ai jamais eu l'occasion d'affronter... [...] J'annonce la nouvelle à Picasso... Il ne crie pas, ne fulmine pas... Je ne vois aucune flamme sortir des naseaux du Minotaure... Serait-ce un mauvais signe ? N'ai-je pas entendu dire que ses colères froides, blémissantes de rage concentrée, étaient plus dangereuses encore que celles qui explosent sur-le-champ ? Il me suit sans prononcer un mot... [...] «Ce n'est pas grave, me dit-il d'une voix calme. L'encoche n'était pas assez profonde. Je retaperai ça un de ses jours». [...] Lorsque, une heure plus tard, je le quitte, Picasso me dit : «Je n'étais pas en colère, n'est-ce pas ?» (Conversations avec Picasso, 1964).

Des cubes pour une révolution

Pablo Picasso, Femme à l'éventail, 1907, musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg (DR)C'est une promenade au musée de l'Homme qui a changé le cours de l'histoire de l'art : en 1907, Picasso y découvre l'art «nègre», originaire d’Afrique subsaharienne, avec ses formes géométriques simples qu'il met aussitôt en application dans ce qu'il veut être son magnus opus : Les Demoiselles d'Avignon.

C'est le tableau du scandale : en quelques coups de pinceau, il désarticule les visages, devenus des masques, brise les corps nus et met à bas les règles de la peinture héritées de la Renaissance.

Qu'importent les cris d'Henri Matisse : avec Georges Braque, Picasso se lance dans des compositions où les formes semblent réduites à des cubes. Le «cubisme» est né.

Ce nouveau mouvement, présenté comme le point de départ de l'art moderne, ne s'embarrasse plus de l'idée de vraisemblance qui a fait les beaux jours de la peinture classique.

Allant encore plus loin que son maître Cézanne, le peintre préfère adopter les lignes fortes des primitifs, en particulier espagnols et africains.

Picasso vient de donner un formidable coup de pied dans la fourmilière de l'art !

Picasso s'explique

Pablo Picasso, Portrait d'Antoine Vollard, 1910, musée Pouchkine, Moscou (DR)«Je me comporte avec ma peinture comme je me comporte avec les choses. Je fais une fenêtre, comme je regarde à travers une fenêtre. Si cette fenêtre ouverte ne fait pas bien dans mon tableau, je tire un rideau et je la ferme comme je l'aurais fait dans ma chambre. Il faut agir avec la peinture comme dans la vie, directement. [...]

L'artiste est un réceptacle d'émotions venues de n'importe où : du ciel, de la terre, d'un morceau de papier, d'une figure qui passe, d'une toile d'araignée. [...] On doit prendre son bien où on le trouve, sauf dans ses propres œuvres. [...]

Tout le monde veut comprendre la peinture. Pourquoi n'essaie-t-on pas de comprendre le chant des oiseaux ? [...] Ceux qui cherchent à expliquer un tableau font la plupart du temps fausse route. Gertrude Stein m'annonçait, il y a quelque temps, joyeuse, qu'elle avait enfin compris ce que représentait mon tableau : trois musiciens. C'était une nature morte !» («Conversation avec Christian Zervos», Cahiers d'Art, 1935).

Entre ombre et soleil

Le public, même s'il comprend mal cette nouvelle tendance, achète : Picasso devient riche et quitte le Bateau-Lavoir, puis bientôt se sépare de Fernande qu'il remplace par Eva (Marcelle, en réalité) Humbert.

Dans le Midi, il développe ce qu'il appelle les «procédés papéristiques et pusiéreux (sic)» de Braque : la technique des papiers collés.

Pablo Picasso, Olga, 1923, collection privée (DR)L'arrivée de la Grande Guerre sonne le début des malheurs : les amis de Picasso (Braque, Apollinaire, Derain...) partent au front tandis qu'Eva meurt de tuberculose.

Il est temps de partir : ce sera Rome. Il y fait moisson de souvenirs, emportant les images des statues antiques et des œuvres des plus grands peintres.

Il rencontre dans le même temps le monde des danseurs de la célèbre compagnie Diaghilev pour lequel il fait les décors et costumes du ballet Parade, au théâtre du Châtelet (Paris), le 18 mai 1917.

Scandale ! Mais Picasso se moque des quolibets : il est tombé sous le charme russe de la belle Olga qu'il épouse en 1918 selon le rite orthodoxe.

Quelques semaines plus tard, le jour de l'Armistice, son vieil ami Guillaume Apollinaire succombe à la grippe espagnole. C'est toute la jeunesse de Picasso qui disparaît avec lui.

«Guidé par on ne sait quelle étoile...»

«Il va, continuant d'un pas d'automate, inexorable, seul, mais guidé par on ne sait quelle étoile qui l'éclaire dans cette ombre, vers un but qu'à peine il devine, mais qu'il ressent dans son cœur.
Il est seul, il est triste, il cherche une issue et sort de sa tristesse par une création pure. La joie, le bonheur lui nuisent, la tristesse le sert.
Par moments, sa joie l'abandonne, il regarde autour de lui, il est là, isolé, nu, humble et humain, car il perçoit parfaitement toute la grandeur terrible de ce qui l'environne. Il sait qu'il est faible, mais il sait aussi sa force, qui dépasse toutes ces forces démoniaques, menaçantes, sournoises, prêtes à l'assaillir, l'étrangler, l'engloutir. Il est fort parce qu'il sait son chemin et que rien ne peut l'arrêter (…) il sait qu'il a déclenché une force et qu'au moment voulu elle le soutiendra, exaltante, et lui permettra de voir la lumière»
. (Raymond Tillac, Labyrinthe, 15 mai 1945).

Créer avec des riens

Pablo Picasso, Paul dessinant, 1923, musée national Picasso, Paris (DR)

À quarante ans, Picasso connaît la tranquillité de la vie familiale bourgeoise auprès de son fils Paulo, né en 1921.

Entre ses visites au Tout-Paris, il observe d'un œil les agitations du monde de l'art, bousculé par le dadaïsme puis le surréalisme. Après être revenu quelque temps au style figuratif, il se laisse entraîner par la lame de fond déclenchée par Breton et entreprend de créer des œuvres à partir de vieux clous ou de serpillières. Avec ces assemblages, il se fait sculpteur pour donner vie par exemple à une chèvre à partir d'un panier.

Olga, qui ne s'intéresse que de loin à son travail, doit s'effacer face à la jeune Marie-Thérèse, rencontrée dans la rue. «Nous allons faire de grandes choses ensemble !» lui dit-il. La suite lui donna raison...

Sportive, pleine de vie et de bonne humeur, Marie-Thérèse devient omniprésente dans les toiles du maître qui, pour célébrer ses formes, revient à un style plus figuratif.

L'amant admiratif se fait minotaure puis père attentionné pour la petite Maïa, née en 1935. Mais il a du mal à jongler entre les deux femmes, les deux familles : il est en plein désarroi et l'inspiration semble l'avoir quitté.

Pablo Picasso, Chat à l'oiseau, 1939, collection Ganz, New York (DR)

Les larmes du minotaure

En juillet 1936, la guerre civile commence à déchirer l'Espagne. Picasso, qui n'a pas été détourné de ses priorités politiques par la rencontre avec Dora Maar en 1935, prend position contre le général Franco par attachement viscéral à la liberté. 

David Seymour, Picasso in front of his picture, Guernica at its unveiling at the Spanish Pavilion of the World’s Fair, Paris, 1937 (DR)

Plein de reconnaissance pour ce soutien, le gouvernement républicain le nomme conservateur in absentis du musée du Prado à Madrid, alors assiégé.

Après avoir multiplié les dons aux Républicains espagnols, il accepte de s'engager de façon plus symbolique en se lançant dans la réalisation d'une toile pour le pavillon espagnol de la future exposition universelle.

Le sujet de cette peinture s'impose de lui-même : le 26 avril 1937, l'aviation allemande a rasé la ville basque de Guernica, faisant 2 000 victimes civiles.

Un peu plus d'un mois après, l'oeuvre est achevée et prête à devenir le symbole universel de la dénonciation de la barbarie : «La peinture n'est pas faite pour décorer les appartements, c'est un instrument de guerre, offensif et défensif, contre l'ennemi» (Pablo Picasso, «Conversation avec Christian Zervos», 1935).

Pendant la débâcle, Picasso part à Royan puis, de retour à Paris, s'enferme chez lui pour travailler à cette peinture qualifiée de «dégénérée» par le régime nazi qui lui interdit d'exposer mais le ménage en raison de sa célébrité.

Qu'importe ! Il continue de créer, comme cette célèbre tête de taureau née de l'assemblage d'une selle et d'un guidon trouvés dans la rue. À la Libération, il est fêté par ses amis comme par les anonymes qui voient en lui un symbole de ténacité contre l'adversité.

«À Pablo Picasso»

Pablo Picasso, La Suppliante, 1937, musée national Picasso, Paris (DR)Les uns ont inventé l'ennui d'autres le rire

Certains taillent à la vie un manteau d'orage


Ils assomment les papillons font tourner les oiseaux en eau 

Et s'en vont mourir dans le noir 



Toi tu as ouvert des yeux qui vont leur voie 


Parmi les choses naturelles à tous les âges


Tu as fait la moisson des choses naturelles


Et tu sèmes pour tous les temps 


On te prêchait l'âme et le corps

Tu as remis la tête sur le corps

Tu as percé la langue de l'homme rassasié

Tu as brûlé le pain béni de la beauté

Un seul cœur anima l'idole et les esclaves

Et parmi tes victimes tu continues à travailler

Innocemment


C'en est fini des joies greffées sur le chagrin. 

….

Le matin allume un feu vert

Dore les blés les joues les cœurs 

Tu tiens la flamme entre tes doigts 

Et tu peins comme un incendie


Enfin la flamme unit enfin la flamme sauve

 (Paul Éluard, Donner à voir, 1939).

Pablo Picasso, La Joie de vivre, 1946, musée Picasso, Antibes (DR)

La joie de vivre

Pablo Picasso, Portrait de Staline, 1953 (DR)Peu de temps après la fin de la guerre, Picasso s'inscrit au Parti communiste français qui jouit du prestige né de ses actions de résistance.

S'associant à son idéal de «progrès et de bonheur de l'homme», il y rejoint nombre d'intellectuels, dont ses amis Éluard et Aragon, mais n'hésite jamais à montrer sa différence.

En 1953, il fait de Staline un dessin aussitôt condamné par le Parti, qui eut préféré un portrait dans le goût du réalisme socialiste.

Picasso choisit malgré tout de ne pas rompre avec ses amis, pour garder un lien avec le «peuple».

En 1949, pour le Congrès mondial de la paix, il offre à l'organisation un dessin de colombe qui devient vite célèbre.

Pablo Picasso, Colombe de la paix, affiche pour le Parti communiste français, 1949 (DR)

Pablo Picasso, Petite fille sautant à la corde, 1950, musée national Picasso, Paris (DR)Paloma («colombe»), c'est aussi le prénom de la fille qu'il vient d'avoir avec sa nouvelle compagne, Françoise Gilot, déjà mère de son petit Claude.

Ensemble, ils se sont installés au soleil de Vallauris dont il fait sien l'amour de la céramique.

Mais rapidement, Françoise se fatigue du «complexe de Barbe-Bleue» dont semble atteint Picasso qui, à 70 ans passés, continue à fréquenter ses anciennes amours... et à en chercher de nouvelles !

Laissé seul dans le sud, le peintre entame vite une nouvelle liaison avec Jacqueline Roque, qui a 46 ans de moins que lui.

Il l’épouse en 1961 après avoir déménagé au château de Vauvenargues.

Mais c'est à Notre-Dame-de-Vie, à côté de Mougins, que celui que l'on célèbre comme «l'artiste du siècle» meurt le 8 avril 1973, à 92 ans.

Il laisse derrière lui pas moins de 30.000 œuvres !

Picasso et les femmes

David Douglas Duncan, Portrait de Picasso (1956) (DR)Picasso ne pouvait vivre sans les femmes, et les femmes vivent dans toute son œuvre.

À chaque rencontre correspond un changement de style.

Faisons le point sur les grands amours de l'artiste :

- Fernande Olivier (liaison entre 1904 et 1912),
- Eva Gouel (liaison entre 1912 et 1915),
- Olga Kokhlova (mariage entre 1918 et 1955, date de son décès) ; un fils : Paul,
- Marie-Thérèse Walter (liaison entre 1927 et 1937) ; une fille : Maya,
- Dora Maar (liaison entre 1935 et 1944),
- Françoise Gilot (liaison entre 1943 et 1953) ; deux enfants : Claude et Paloma,
- Jacqueline Roque (mariage en 1961).

Sources bibliographiques

Marie-Laure Bernadac et Paule du Bouchet, Picasso, le sage et le fou, éd. Gallimard («Découvertes»), 1986.
Henri-Georges Clouzot, Le Mystère Picasso (film documentaire), 1955.
Giorgio Cortenova, Pablo Picasso. Sa vie, son œuvre, éd. Gründ, 1991.
Jean-Louis Ferrier, Picasso. La déconstruction créatrice, éd. Terrail1993.
Lael Wertenbaker, Picasso et son temps, éd. Time-Life, 1972.
«Picasso. Engagement et liberté», f n°335, octobre 2008.



24/10/2014

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