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L'ANONYME DU JOUR : MARIE FERRET

 
 
 

Voici une nouvelle personne extirpée de la foule des anonymes, prise au hasard de nos recherches dans le but de montrer de quelle façon on peut chercher des informations sur elle et reconstituer son parcours de vie. Ce mois-ci, il s'agit de Marie Ferret, qui vivait au début du XIXe siècle en Occitanie, dans les hauts cantons de l'Hérault.

Les registres des délibérations de conseils municipaux regorgent d’informations sur la vie d’une commune. Parfois, comme ici à Hérépian dans l’Hérault, ils ont aussi servi à enregistrer des plaintes des habitants. Par le biais de celles-ci, ce sont anecdotes savoureuses, rivalités de voisinage ou encore rixes de cabarets qui nous sont présentées, donnant vie à ceux qui n’étaient jusqu’alors que de simples noms dans nos arbres : retrouver ces documents, faire revivre (un peu) nos ancêtres, voilà ce qui constitue le véritable but d’une recherche généalogique.

A la date du 17 février 1820 figure un compte-rendu qui résonne tristement avec notre époque : la trop banale histoire d’une femme qui se fait agresser par plusieurs hommes, bien que ce soit sur le ton de la plaisanterie. Elle se nomme Marie FERRET, et vient ce jour-là à la mairie déposer plainte. Si ce n’était la frayeur ou la colère qu’elle a dû ressentir, la description des faits pourrait prêter à sourire tant elle fourmille de détails et colle à l’image d’Epinal de la paysannerie villageoise des siècles passés (voir par exemple la chanson “Jeanneton prend sa faucille”.)

 

 

Résumons les faits : “Mademoiselle Marie FERRET, couturière domiciliée à Hérépian” se rendait la veille en fin de mâtinée dans “une de ses propriétés, sur le chemin d’Hérépian à Béziers”, quand elle fut “atteinte” par plusieurs hommes : Jacques Amans fils, Pierre Léotard fils, Jean Rascol fils, Martial Milhau fils aîné, Eloi Fauchard ouvrier en bouteilles, qui accompagnaient un joueur de violon dénommé Carbonnel, domicilié à Béziers.

 


 

Les six garçons vont lui “chanter des chansons obscènes ayant pour but de l’insulter”, l’encerclent en chantant “a dieu pauvre Carnaval a dieu guitarres”, et la poursuivent “jusques à la propriété du sieur Bernard Toussaint Cros”, avec des “injures des mots sales contre la pudeur qu’elle n’a ozé nous le déclarer”. Pour finir, Jean Rascol lui lance une “corne” qui, tombant dans le ruisseau longeant le grand chemin, éclabousse Marie, et (âmes sensibles s’abstenir) Pierre Léotard “mit a bas ses culotes (…) lui montra le derriere en proferant des paroles sales”.


Ce n’était d’ailleurs pas la première fois qu’elle se faisait ennuyer de la sorte en période de Carnaval, pas les mêmes “dénommés”, “qu’elle se reserve de poursuivre separement” : ceux-ci “se sont portés a des heures indues au devant de sa porte ont chanter des chansons les plus obcenes et proferé des injures très graves”.

Pour en savoir plus sur Marie Ferret, nous manquons cruellement d’éléments : nous ne connaissons pas son âge, nous savons seulement qu’elle n’est pas mariée (grâce au terme “mademoiselle”) et qu’elle habite à Hérépian.


Si le premier réflexe est de se dire qu’il s’agit d’une jeune fille, elle pourrait très bien être une vieille fille âgée qui est la risée des jeunes du village. Par contre, si nous n’avons guère plus de renseignement sur les agresseurs, nous savons avec une quasi certitude qu’ils sont jeunes, car 4 sont “fils de”, un terme que l’on utilise quand le père est bien vivant.

 

Nous ne savons pas non plus si Marie est née à Hérépian, elle pourrait très bien habiter le village depuis peu, même si l’on peut raisonnablement se dire que vu son nom (relativement banal dans la région) et vu l’époque (on migre moins qu’aujourd’hui), il y a peu de chances qu’elle vienne de très loin.

 

Pour commencer, nous allons simplement regarder sur Geneanet les Marie Ferret que l’on trouve à Hérépian et alentours. Nous allons limiter les résultats en réduisant la période d’observation de 1760 à 1820, les chances que des jeunes ennuient une femme de plus de 60 ans (le respect des personnes “âgées” existait sans doute plus à l’époque qu’aujourd’hui) étant très faibles, et nous nous bornerons à élargir la recherche à 10 km alentours (option Premium). On utilise aussi les variantes orthographiques (option Premium), pour ne rien rater.

 

Nous obtenons 47 résultats, dont 7 à Hérépian (pour la petite histoire, on trouve qu’à 5 km de là a vécu une autre Marie Ferret, beaucoup plus âgée : l’ancêtre directe de Charles Trenet).
Avant d’aller explorer les communes limitrophes car il va nous falloir du temps, nous allons déjà regarder ce qu’il y a Hérépian : toutes les Ferret sont sur un seul arbre, celui de Bernard Dusseau (jclepyautres).

 


Nous nous rendons sur son arbre pour mieux exploiter ces résultats, et tapons “Ferret” dans le petit moteur de recherche… :
 

 

Le résultat est présenté par branches, ce qui permet de visualiser facilement les liens familiaux… :

 

 

…mais pas d’obtenir une vision synthétique des Marie et dérivés : nous utilisons le menu de tri par ordre alphabétique, tout en haut, pour y voir plus clair :

 

 

Très vite, nous répertorions les Marie, Marie Anne/Marianne et les Marie aux prénoms composés susceptibles de correspondre : non mariées et pas décédées avant 1820, nées après 1760. On en trouve deux susceptibles de correspondre :

  • Marie Ferret fille de Pierre et Marguerite Vidal, née le 24/11/1797, mariée en 1822 avec Bernard Cros
  • Marie Anne Ferret fille d’André et Marie Jeanne Malet, née le 1/06/1806, mariée en 1826 avec Etienne Gaillard.

La seconde n’a que 14 ans en 1820, mais il serait trop hâtif de l’écarter.

 

Bien sûr, nous ne savons pas si l’arbre en question est exhaustif, nous allons donc devoir comparer cela avec les archives en ligne de l’Hérault grâce à l’état civil et ses tables décennales dans un premier temps, puis avec le site d’une association qui a dépouillé entièrement Hérépian avant la Révolution, mareetorb.free.fr

 

Nous constatons rapidement qu’il y a plusieurs familles Ferret/Farret (on n’écarte pas la graphie Farret, même si le scribe semble bien faire la différence).


Pour ne rien oublier, on note toutes les Marie, Marie Anne, etc. nées, mariées ou décédées, puis on refait nos comparaisons en donnant à chaque Marie la naissance qui correspond à son mariage et/ou à son décès.

On conclut rapidement qu’aucune autre Marie n’est susceptible d’être la nôtre : il ne reste que les deux trouvées sur Geneanet.

Mais laquelle choisir ? Celle qui aurait eu 14 ans ou celle, plus probable et que l’on aimerait bien valider, qui est née en 1797 et a donc 23 ans ? Il faut donc bien lire et relire tous les documents que l’on possède, à plusieurs reprises. Et cela paye : d’abord, Marie Ferret se rend “dans une de ses propriétés” mention un peu curieuse si l’on n’a que 14 ans, alors qu’à 23, pourquoi pas, s’il s’agit des propriétés familiales ?

 

Ensuite, les témoins qu’elle cite à la fin de sa déclaration, garçons comme filles, sont tous nés entre 1793 et 1802 (bien qu’il puisse s’agir d’homonymes, mais ce serait vraiment jouer de malchance) et qu’on peut estimer que ceux qui la défendent ont le même âge qu’elle. Et surtout, on réalise que Marie Ferret se rend chez… “Bernard Toussaints Cros”. Or, l’une des deux Marie trouvées épouse un Bernard Cros, boucher de profession, le 1er septembre 1822 ! Qui plus est, elle est bien qualifiée de “couturière” sur cet acte de mariage, comme lors de sa plainte.

 

Alors, même si l’acte de naissance de Bernard Cros ne lui donne pas de prénom Toussaint supplémentaire, toutes les coïncidences entre les différentes mentions de noms servent à valider notre intuition : Marie Ferret avait 23 ans lorsqu’elle cette mésaventure lui est arrivée. Elle connaissait déjà Bernard Cros qu’elle fréquentait, et elle l’épousera deux ans plus tard.

 

 

Pour conclure notre recherche, on va étudier les archives postérieures à 1820 et rétablir son parcours de vie.

 

Les tables décennales puis la consultation des registres nous donnent tous les renseignements nécessaires : Marie Ferret est donc née le 4 frimaire an VI (24 novembre 1797, acte enregistré au nom de Farret), et elle est la fille de Pierre, bâtier de profession (le bâtier fabrique des bâts pour les chevaux), qui meurt lorsqu’elle n’est qu’une enfant de 4 ans, et de Marguerite Vidal, qui décède en 1829 à l’âge de 62 ans, “sans profession particulière”, et a priori sans s’être remariée.

 

Marie et Bernard auront sept enfants, dont cinq décèdent en bas-âge :

  • Bernard en 1823, décédé en 1824 à 7 mois
  • Joseph Justin en 1825
  • “Jean” Pierre en 1828
  • Bernard en 1829, mort en 1833 à 4 ans
  • Marie en 1832, décédée la même année à 2 mois
  • “Marie” René Julienne en 1836
  • Bernard Ceril, né en 1839 et mort en 1841 à 2 ans
  • Donatien Fulcrand né en 1840 et mort en 1842 à 2 ans et demi

Bernard Cros décède en 1847 à 48 ans. A ce moment-là, Marie est toujours qualifiée de couturière. On la retrouve en 1851 sur les listes de recensement (page 10), elle vit alors sur la Place d’Hérépian, elle est âgée de 53 ans et qualifiée “d’ex-bouchère” (sans doute travaillait-elle avec son mari en plus de ses travaux de couture), elle vit avec son fils Jean, ouvrier menuisier âgé de 22 ans, et sa fille Marie, modiste (le métier de sa mère doit y être pour quelque chose), 16 ans. Son aîné, Joseph Justin, s’est marié en 1849, il habite juste à côté de chez sa mère avec sa femme et son fils. Il a suivi les traces de son père puisqu’il est devenu boucher.

 

 

En 1856, Marie Ferret ne figure plus sur les recensements, ni dans l’état civil d’Hérépian. Elle a probablement déménagé car elle n’y est pas décédée, mais où ? Seul son fils Justin est resté à Hérépian, où il est décédé en 1896. Les recherches en descendance sont toujours longues et fastidieuses, alors nous lançons un appel à tous ceux qui voudraient retrouver sa trace.

 

 

Le 1 janv. 2018 par Frédéric Thébault



04/01/2018
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