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LA LIBERTE ECLAIRANT LE MONDE

La Statue de la Liberté rue de Chazelles (1884, Victor Dargaud, musée Carnavalet, Paris)

Le 28 octobre 1886, «La Liberté éclairant le monde» est inaugurée dans la liesse, à l'entrée du port de New York, par le président des États-Unis Stephen Grover Cleveland.

 

C'est la plus colossale statue jamais construite (46 mètres de haut et 93 avec le piédestal). Elle est l'oeuvre du sculpteur Frédéric Auguste Bartholdi.

 

Ce cadeau de la France aux États-Unis célèbre l'amitié franco-américaine sur une idée du juriste Édouard Laboulaye. Il a été financé par une souscription publique des deux côtés de l'Atlantique et grâce à une active campagne de presse du journaliste américain Joseph Pulitzer.

 

Auguste Bartholdi, républicain et patriote

 

Né le 2 août 1834 à Colmar, en Alsace, dans une famille de notables protestants, Auguste Bartholdi peut donner libre cours à ses penchants artistiques grâce à la bienveillance de sa mère Charlotte qui ne cessera jamais de l'épauler.

 

Auguste Bartholdi (Colmar, 2 août 1834 - Paris, 4 octobre 1904)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il a à peine 20 ans quand il inaugure sa carrière de sculpteur avec la statue du comte Jean Rapp, un général de Napoléon 1er originaire comme lui de Colmar.

 

Déjà s'affirme son goût pour le gigantisme avec cette statue à laquelle, de sa propre initiative, il donne une taille deux fois supérieure à la taille humaine.

 

En dépit de la bienveillance du Second Empire à son égard, Bartholdi ne cache pas ses convictions républicaines, ce qui lui vaut de nouer une relation amicale avec le professeur de droit Édouard Laboulaye (1811-1883), dont il réalise le buste en 1866.

 

À ce moment-là vient de se terminer aux États-Unis la guerre de Sécession. L'enthousiasme de Laboulaye, partisan des abolitionnistes, est à son comble.

 

Lors d'une soirée à laquelle est invité le jeune Bartholdi, il lance l'idée d'un monument qui scellerait l'amitié entre les peuples français et américain. Bien entendu, ce monument serait inauguré à l'occasion du centenaire de la Déclaration d'Indépendance, soit en 1876 !...

 

 

Édouard Lefebvre de Laboulaye (Paris, 18 janvier 1811 - 25 mai 1883)

 

En attendant, il faut composer avec un régime qui n'a pas de sympathie particulière pour la démocratie américaine.

 

Auguste Bartholdi, comme beaucoup d'artistes et d'intellectuels de son temps, cède à l'Egyptomanie. Il visite les bords du Nil et rencontre Ferdinand de Lesseps, maître d'oeuvre du futur canal de Suez.

 

Il lui suggère d'ériger à l'entrée du canal une statue monumentale à l'image du colosse de Rhodes, mais qui serait, elle, conçue pour durer des siècles.

 

Son projet prend l'allure d'une paysanne égyptienne qui brandit une torche, avec une majesté toute antique. Malheureusement, il n'a pas l'heur de plaire au vice-roi d'Égypte Ismaïl Pacha et Bartholdi revient à Paris avec la maquette en terre cuite dans sa malle.

 

Arrive la guerre franco-prussienne. Patriote, le sculpteur de 36 ans sert comme chef d'escadron et aide de camp de Giuseppe Garibaldi dans l'armée des Vosges.

 

Maquette de la statue de la Liberté éclairant le monde (vers 1885)Tandis que la France est encore sous le coup de la défaite, Édouard Laboulaye, devenu député républicain, se montre plus que jamais convaincu de l'utilité du monument à la Liberté. Il suggère à son ami de se rendre aux États-Unis pour tâter le terrain.

 

Dès son arrivée dans la rade de New York, à l'automne 1871, Bartholdi repère l'emplacement idoine pour son futur monument, lequel serait inspiré de la paysanne à la torche qui devait ouvrir le canal de Suez.

 

C'est l'île de Bedloe, rebaptisée Liberty Island en 1956. Elle est visible de tous les arrivants et offre un point de vue à la fois sur le grand large et la cité.

 

Laboulaye et Bartholdi ont dans l'idée que le monument, d'un coût de 250.000 dollars (une somme colossale pour l'époque), soit financé par souscription, pour moitié par le peuple français et par le peuple américain, le premier se réservant la statue et le second le piédestal.

 

Bartholdi rencontre à cette fin le président Ulysses S. Grant, des sénateurs, des industriels et des journalistes. Mais ses interlocuteurs demeurent très réservés à l'égard du projet...

 

Tout comme d'ailleurs les élus et les notables français qui penchent majoritairement pour une restauration de la monarchie et en veulent surtout aux Américains d'avoir soutenu la Prusse dans la précédente guerre.

 

En attendant que la situation se débloque, Bartholdi s'attelle à une commande publique destinée à rappeler le siège héroïque de Belfort en 1870-1871. Ce sera le Lion de Belfort, une sculpture monumentale (on ne se refait pas) en granit des Vosges, adossée à la colline qui surplombe la ville.

 

Enfin, l'horizon se dégage : le régime politique bascule en janvier 1875 vers la République. Le projet de statue recueille désormais les faveurs de l'opinion mais le temps presse.

 

La statue de la Liberté en cours de montage dans les ateliers Gayet de la rue Chazelles (1884, Victor Dargaud, musée d'art de Santa Barbara, EU)

 

Course d'obstacles

 

 

La statue de la Liberté en cours de montage dans les atelierds Gaget, Gauthier et CieLaboulaye, qui a de la suite dans les idées, fonde un Comité de l'union franco-américaine en vue de lever des fonds.

 

Charles Gounod compose pour les généreux donateurs, à l'Opéra de Paris, un Hymne à la Liberté éclairant le monde. On leur offre aussi deux cents modèles réduits de la future statue.

 

Auguste Bartholdi reçoit le concours d'une sommité du patrimoine en la personne d'Eugène Viollet-le-Duc.

 

Celui-ci prescrit une peau composée de plaques de cuivre modelées par martelage sur des formes en plâtre. L'ensemble doit être monté sur une armature métallique, stabilisée par un remplissage en sable.

 

La fabrication peut commencer dans les ateliers de la société Gaget, Gauthier et Cie, rue de Chazelles, au nord de Paris. Elle mobilisera jusqu'à six cents ouvriers.

 

La Liberté éclairant le monde présentée à l'Exposition universelle de Paris, en 1878

 

Mais il est devenu illusoire d'inaugurer la statue pour le centenaire de l'indépendance américaine. À tout le moins, Laboulaye et Bartholdi veulent profiter de l'Exposition universelle de Philadelphie de 1876 pour sensibiliser l'opinion américaine à leur projet.

 

Ils accélèrent le montage du bras droit et de sa torche afin de pouvoir les présenter sur place ! La pièce arrivera après la célébration de l'Indépendence Day (4 juillet) mais elle n'en recueillera pas moins un très vif succès auprès du public.

 

Grâce à une première collecte de fonds, on met à l'étude le piédestal. Il est confié à un architecte de renom, Richard Morris Hunt, qui a déjà conçu le Métropolitan Museum de New York.

 

Comme les fonds manquent aussi pour la réalisation de la statue, Laboulaye présente une reproduction grandeur nature de la tête à l'Exposition universelle de Paris, en 1878.

 

La statue de la Liberté à son achèvement, en 1884, dans la rue de Chazelles (Paris)Les visiteurs, impressionnés et séduits, souscrivent en masse et l'année suivante, le financement est bouclé avec plus de cent mille donateurs.

 

Mais un nouveau coup du sort frappe le projet : Viollet-le-Duc décède à 65 ans, emportant dans la tombe les principes de montage. Bartholdi se tourne alors vers Gustave Eiffel (47 ans), un ingénieur et chef d'entreprise qui est en train de se bâtir une réputation internationale grâce à sa maîtrise des structures en acier.

 

À l'opposé de Viollet-le-Duc, il conçoit une charpente métallique légère qui, tel le roseau de la fable, saura résister aux plus violentes tempêtes en pliant et en se déformant.

 

Dernier coup du sort : Laboulaye décède à son tour le 25 mai 1883. Bartholdi porte désormais le projet sur ses seules épaules. Il invite le populaire Ferdinand de Lesseps à remplacer Laboulaye à la présidence du comité et c'est lui qui va officiellement remettre à l'ambassadeur américain, le 4 juillet 1884, la statue enfin terminée.

 

Le piédestal de la Statue de la Liberté en cours de construction

 

Le peuple américain se mobilise à son tour

 

Joseph Pulitzer (10 avril 1847, Makó, Hongrie - 29 octobre 1911, Charleston, Caroline du Sud)Outre-Atlantique, le projet se délite. Les riches New-Yorkais le dédaignent et le comité n'arrive pas à recueillir les fonds pour l'achèvement du piédestal.

 

Alors se lève un sauveur inattendu, Joseph Pulitzer.

 

Né en Hongrie en 1847, ce jeune immigré devenu le patron du New York World, a inventé la presse populaire à scandale. Il multiplie les campagnes de presse en faveur du projet. Auguste Bartholdi le soutient en proposant des statuettes à un ou cinq dollars.

 

C'est un succès. Les dons, généralement modestes, affluent.

 

Le financement est enfin bouclé avec cent mille dollars supplémentaires offerts par cent vingt mille donateurs dont les noms sont tous imprimés dans le journal.

 

Auguste Bartholdi n'a pas attendu la fin de la souscription pour envoyer la statue à New York. À raison de 350 pièces dans 214 caisses, elle est chargée sur une frégate armée par le gouvernement français, l'Isère, et arrive à New York le 17 juin 1886. Quatre mois suffiront pour monter les cent tonnes de la structure et les quatre-vingt de l'enveloppe de cuivre.

 

Un mythe américain

 

La statue de la Liberté

 

«La Liberté éclairant le monde» est chargée d'une symbolique simple et accessible à tous. La statue tient dans sa main gauche une tablette où l'on peut lire «July 4th, 1776» (Déclaration d'indépendance des États-Unis). Sa torche levée vers le ciel dissipe les ténèbres. Les chaînes brisées, à ses pieds, rappellent l'abolition de l'esclavage.

 

Les sept rayons de sa couronne sont censés représenter les sept océans et continents de la Terre. La couronne, enfin, comporte 25 fenêtres qui figurent autant de joyaux et d'où les visiteurs peuvent contempler la baie de New York.

 

Pour le corps de sa statue, le sculpteur a pu choisir comme modèle Jeanne-Émilie Baheux de Puysieux, une ancienne couturière devenue sa maîtresse et qu'il a dû épouser en catastrophe en 1875, lors d'un voyage aux États-Unis, pour ne pas heurter ses donateurs potentiels.

 

Quant au visage, a-t-il les traits de la mère de l'artiste? d'une prostituée? d'une Communarde?... Peut-être après tout Bartholdi s'est-il contenté de reprendre les traits hiératiques, sévères et somme toute sereins d'une Athéna antique.

 

La statue, son visage, sa gestuelle, son drapé n'ont rien de sentimental ou d'érotique. Mais qu'importe. Inaugurée à la veille de la grande vague d'immigration qui a vu débarquer à New York des millions d'Européens chassés par l'oppression et la misère, elle est devenue le visage de l'Amérique rêvée et de la Liberté. C'est elle que les manifestants de la place Tien An Men, en 1989, ont reproduite en plâtre.

 

Laboulaye et Bartholdi imaginaient-ils que leur idéal ferait le tour du monde, de Paris à New York et Pékin ?

 

 
Un poème d'Emma Lazarus

La statue aujourd'hui : Liberty enlightning the World

 

Dès 1883 a été gravé dans le piédestal de «La Liberté éclairant le monde» un sonnet de la poétesse Emma Lazarus (1849-1887).

Il s'adresse aux millions d'immigrants qui ont débarqué à Ellis Island et pour lesquels la statue de la Liberté figurait l'espoir d'une vie meilleure :

 

«Give me your tired, your poor,
Your huddled masses yearning to breathe free,
The wretched refuse of your teeming shore.
Send these, the homeless, tempest-tost, to me,
I lift my lamp beside the golden door !

Donne-moi tes pauvres, tes exténués
Qui en rangs pressés aspirent à vivre libres,
Le rebut de tes rivages surpeuplés,
Envoie-les moi, les déshérités, que la tempête me les rapporte
De ma lumière, j'éclaire la porte d'or ! ».



29/07/2014
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