LE CHATEAU DU HAUT-KOENIGSBOURG
Ponts-levis, salle d'armes, donjon et canons rappellent à chaque instant la vocation de cette forteresse de montagne qui fut assiégée, détruite et pillée.
Un modèle de château fort
Depuis la plate-forme d'artillerie ou Grand Bastion, ce monument d'exception à la silhouette caractéristique, offre un panorama unique sur la plaine d'Alsace, les Vosges, la Forêt-Noire, et par temps clair, les Alpes…
Elément majeur du patrimoine d'Alsace, témoin d'une histoire européenne, le château du Haut-Koenigsbourg permet aujourd'hui à des publics très divers de se familiariser avec l'architecture castrale, le Moyen Âge et la restauration du début du 20e siècle à travers un large choix de visites, d'activités et d'événements.
La visite est un point d'orgue inoubliable de tout séjour en Alsace, d'autant que sa situation géographique - au centre de l'Alsace - et les infrastructures touristiques à proximité permettent de l'intégrer facilement à un itinéraire plus complet. Ce n'est pas un hasard si le château accueille chaque année plus d'un demi-millions devisiteurs ! Il compte parmi les monuments les plus visités en France.
Si le château du Haut-Koenigsbourg a été bâti à cet endroit, c'est tout d'abord parce que, très longtemps auparavant, les forces de la nature avaient préparé un emplacement idéal…
Le site - un promontoire rocheux majoritairement constitué de grès rose - sur lequel le château du Haut-Koenigsbourg a été érigé est le fruit du temps long, celui de l'histoire géologique de la région.
Des centaines de millions d'années au cours desquelles les forces tectoniques, puis l'érosion, ont façonné un site qui culmine aujourd'hui à plus de 700 mètres et s'étire - avec une pente parfois abrupte - en direction de la plaine.
Un site d'où la vue porte par temps clair sur plusieurs dizaines de kilomètres, et sur près de 360°.
Mais un site n'est occupé que si sa situation est favorable, c'est-à-dire si son environnement est propice à l'installation d'un groupe humain. Pour cela il est nécessaire qu'un certain nombre de critères soient réunis, parmi lesquels l'indispensable présence de l'eau, ou les voies de communication…
Les premières pierres
L'existence d'un château fort construit par les Hohenstaufen est attestée par écrit dès l'an 1147. Alors appelé Castrum Estuphin, il domine la plaine d'Alsace à plus de 700 mètres d'altitude.
Situé sur un promontoire rocheux, le château est en fait un observatoire idéal des principales routes commerciales de la région qui se croisaient aux environs de la ville de Sélestat : la route du blé et du vin qui reliait l'Italie aux actuels Pays-Bas et la route du sel et de l'argent reliant les provinces de Lorraine - par les cols de Sainte-Marie-aux-Mines, d'Urbeis ou de Steige - aux régions germaniques situées à l'est du Rhin.
De fait, ce château fort représente aussi un point de repli stratégique. Ce fut là sans doute un des principaux rôles du château à l'époque de sa construction.
Ce château fort prend le nom de Koenigsburg (château royal)
L'arrivée des Tierstein
Détruit en partie suite à un premier siège mené en 1462, les Habsbourg confient en 1479 ce château fort aux Tierstein, une famille seigneuriale originaire de l'actuel Jura suisse, en remerciement pour leurs services rendus.
Ceux-ci le reconstruisent et l'agrandissent, mettant en place un système défensif conçu pour faire face à des tirs d'artillerie.
Au cours du siècle suivant, la famille des Sickingen poursuit à grands frais les travaux de modernisation, faisant ainsi du château fort la forteresse la plus moderne en Alsace au milieu du 16e siècle.
C'est l'apogée du Hohkoenigsburg ("Hoh" signifie... "Haut" !).
Incendie et abandon du château du Haut-Koenigsbourg
En septembre 1633, après cinquante-deux jours de siège, pillé puis incendié, le château fort détruit est ensuite abandonné pendant plus de deux siècles.
La végétation reprend rapidement ses droits et envahit les lieux.
Dans un premier temps, les ruines font peur et très peu de gens osent s'y aventurer.
Au 19e siècle en revanche, l'intérêt des historiens pour le Moyen Âge et l'engouement des romantiques pour la nature sauvage font de ces châteaux en ruine des lieux de promenade de prédilection.
En 1862 ses ruines sont classées monument historique, puis sont acquises trois ans plus tard par la ville toute proche de Sélestat.
Les prémices d'une restauration
On envisage dès cette époque des travaux de restauration : la municipalité de Sélestat consolide une partie des ruines, et l'architecte Winkler établit en 1882 un projet de reconstruction ambitieux.
Mais la ville est incapable financièrement d'assurer la restauration de l'édifice.
Après l'annexion de l'Alsace à l'Allemagne en 1871, Sélestat offre les ruines encore majestueuses du château fort à l'empereur Guillaume II en 1899.
La restauration du château du Haut-Koenigsbourg
L'architecte Bodo Ebhardt, chargé de la restauration, s'appuie sur des principes scientifiques rigoureux, compte tenu des connaissances de l'époque : il répertorie tous les vestiges archéologiques recueillis sur les lieux, étudie les documents d'archives, analyse l'architecture... et en cas d'incertitude, se réfère à des modèles choisis parmi les édifices contemporains proches, notamment d'autres châteaux forts.
Les travaux durent de 1900 à 1908.
Un chantier de restauration colossal et moderne
A peine le château du Haut-Koenigsbourg est-il acquis par Guillaume II que les travaux commencent. L'empereur souhaite reconstruire intégralement la forteresse telle qu'elle se dressait au 15e siècle et confie les travaux à l'architecte-historien Bodo Ebhardt.
Dès 1900, de gros travaux de déblaiement précèdent les travaux de restauration, une grande campagne de relevés photographiques est effectuée.
Elle se poursuivra tout au long des travaux.
La première pierre pour la restauration du château du Haut-Koenigsbourg est posée en 1901. Le donjon est le premier élément restauré. Sa reconstruction symbolise le pouvoir de son nouveau propriétaire et, de façon très pratique, permet de dégager les pierres du sol.
Dès lors, les premières critiques acerbes pleuvent.
En 1906, l'aigle impérial est installé au sommet du donjon. Il était prévu que le chantier soit terminé à cette date mais des problèmes de failles dans les murs ont considérablement ralenti les travaux. Un complément financier se révèle également nécessaire.
Deux ans plus tard, le 13 mai 1908, en présence de Guillaume II, et de nombreux officiels, le château est inauguré par un grand défilé historique.
On rejoue la prise de possession du château par les Sickingen en 1533, date à laquelle le château est dans un état assez proche de celui retrouvé par Bodo Ebhardt.
Cinq cent figurants en costume d'époque défilent solennellement... sous la pluie !
Un chantier moderne
La rapidité d'exécution de ce chantier est largement due à la modernité des techniques employées en ce début de 20e siècle.
Dès 1901, une station de pompage est construite en contrebas du château. Actionnée par un moteur à essence elle fournit l'eau courante aux machines et aux hommes. Elle a été utilisée jusqu'en 2013.
Une carrière est ouverte à une centaine de mètre du chantier, à l'Oedenburg.
Une locomotive à vapeur, nommée "Hilda" par l'équipe des serruriers qui l'entretient, est mise en service en janvier 1902.
Elle achemine les pierres de la carrière du château. Trente chevaux ont été nécessaires pour tracter ses 5 tonnes de la gare de Sélestat jusqu'au château fort du Haut-Koenigsbourg.
Une broyeuse à grès, actionnée par un moteur à vapeur, est utilisée pour produire le sable nécessaire au bon déroulement du chantier.
Deux grues mécaniques sont présentes dès 1901.
L'une d'entre elles circule sur des rails surplombant le haut-jardin, l'autre est installée à l'intérieur du donjon.
Elles sont électrifiées en 1902 par le biais d'une machine à vapeur transportable appelée "locomobile".
Grâce à cette technique, le chantier est aussi éclairé, alors que les villages au pied du château fort n'auront le courant qu'après la Première Guerre Mondiale.
De 30 à plus de 200 ouvriers
La plupart des ouvriers et des contremaîtres sont recrutés dans les villages environnants, par petites annonces ou par recommandation.
Quelques compagnons allemands complètent les effectifs, notamment l'équipe des charpentiers. Les acteurs locaux ont donc tenu un rôle de premier plan dans la restauration du château.
Les ouvriers ont en charge le gros œuvre (déblaiement, échafaudage, taille de pierre, etc.) et la fabrication des éléments en bois (volets, galeries, charpentes, etc.). Le bois est fourni par des scieries locales.
Les travaux spécialisés en plomberie, gouttières et éléments en cuivre ainsi que l'artisanat d'art (fabrication des poêles en céramique, réalisation des modèles en plâtre pour les sculpteurs, etc.) sont confiés à des entreprises extérieures, en majorité allemandes.
De nombreux corps de métier sont représentés : carriers, tailleurs de pierre, maçons, machinistes, serruriers, charpentiers, forgerons mais aussi aubergiste et cantinière. Un bistrot, une cantine et des dortoirs sont installés sur le site pour les ouvriers, comme le raconte le fils du contremaître des charpentiers :
" Le rythme hebdomadaire de travail était de six fois dix heures. Les ouvriers et employés avaient la possibilité de prendre les repas à la cantine et de se coucher dans des dortoirs.
D'une manière générale, tous les ouvriers profitaient de ces avantages et ne rentraient que le samedi, à pied bien entendu, car il n'y avait pas d'autre moyen de locomotion. Le temps du trajet aller-retour était de trois heures."
Citation extraite de Chronique d'une famille alsacienne par H. BRENNER, fils du contremaître
Ces installations ne signifient cependant pas que les effectifs sont les même tout au long de l'année : d'après les registres de cotisations payées à Sélestat, le nombre d'ouvriers passe, au fil des saisons, de 30 à plus de 200 !
Ils bénéficient en outre de caisses de retraite et d'assurance maladie et invalidité.
Le rêve de l'empereur Guillaume II pour le château du Haut-Koenigsbourg
Des raisons politiques expliquent également cette restauration du château fort. Cette nouvelle propriété offre à Guillaume II une occasion rêvée pour légitimer son pouvoir en Alsace, annexée en 1871.
De plus, mêlant ses armes à celles de Charles Quint sur le portail d'honneur restauré, il se pose en héritier légitime de ce prestigieux empereur, ancien propriétaire du Haut-Koenigsbourg.
Le château fort incarne alors la frontière ouest de son empire, tout comme le château de Marienburg (Malbork), aujourd'hui en Pologne, en marque la frontière est.
Une restauration critiquée mais respectueuse du passé du château
A la fois architecte et spécialiste des châteaux forts, il s'appuie sur des principes rigoureux :
Les murs encore en place sont vérifiés bloc par bloc et les parties fragiles sont remplacées à l'identique. Une patine permet ensuite d'homogénéiser le tout.
Afin de signaler les parties restaurées, Bodo Ebhardt imagine des marques de restauration : chaque bloc remplacé porte une marque taillée dans la pierre.
La polémique autour de la restauration
Dès l'attribution du chantier à Bodo Ebhardt, les critiques fusent.
Otto Piper, auteur de la Burgenkunde (la première somme scientifique sur les châteaux forts allemands) et rédacteur du journal "Le courrier du Bas-Rhin", se déchaîne. Guillaume II l'avait d'abord consulté mais son projet de conservation de la ruine ne l'avait pas séduit.
Arguant qu'une restauration risque de dénaturer la valeur historique du site, le candidat évincé condamne systématiquement le travail de Bodo Ebhardt, qu'il accuse d'opportunisme.
Le donjon objet des polémiques
Le Kaiserwetter (le beau temps censé accompagner l'empereur) s'était éclipsé !
La décoration et l'ameublement du château
Dans l'optique de créer un musée destiné à recevoir du public, le Hohkönigsburgverein (littéralement "Société du Haut-Koenigsbourg") est chargé de réunir les moyens nécessaires pour décorer et meubler le château.
Jusqu'à la fin de la Première Guerre Mondiale, près de 500 membres s'activent en Alsace, Lorraine, Suisse et même au Tyrol pour réunir toute une collection d'objets rhénans (armes, mobilier…) de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance.
En parallèle et dès sa création, la Société assure la promotion touristique du monument.
Bien que le site soit encore en chantier, l'entrée devient payante en 1904.
C'est également elle qui organise le défilé historique de l'inauguration du château et qui demande à Léo Schnug, artiste alsacien passionné par le Moyen Âge et spécialiste des uniformes militaires, d'en dessiner les costumes.
Après l'inauguration, elle prend en charge les décorations du logis et confie la réalisation des peintures murales de la salle du Kaiser (salle des fêtes) et de la salle des trophées à Léo Schnug.
De l'inauguration à nos jours
Le 13 mai 1908, le château du Haut-Koenigsbourg est enfin inauguré en grande pompe.
Les travaux de finition et les aménagements intérieurs, dont les peintures murales réalisées par l'artiste alsacien Léo Schnug, se poursuivent néanmoins jusqu'à la Première Guerre Mondiale.
Le conflit stoppe tous les travaux, laissant quelques décorations inachevées, comme la chambre "dorée" du donjon, laissée à l'état brut.
Après la Première Guerre Mondiale et la signature du Traité de Versailles, le château entre dans le domaine national français.
Le monument devient un lieu touristique mais il reste de bon ton d'en critiquer la restauration, œuvre de l'ennemi.
Il faudra attendre l'apaisement des relations franco-allemandes pour que l'ouvrage soit reconsidéré.
Après deux guerres mondiales qui l'ont épargné, il est classé Monument historique dans son intégralité en 1993.
Aujourd'hui, 100 ans après sa restauration, le château fort du Haut-Koenigsbourg dresse sa fière silhouette au cœur d'une Europe unifiée.
Devenu propriété du Département du Bas-Rhin en 2007, le Haut-Koenigsbourg offre une vision remarquable de ce qu'était un château fort à la fin du Moyen Âge et apporte un témoignage sur
l'histoire européenne du début du 20e siècle.
Au château du Haut-Koenigsbourg la première décennie du 20e siècle est marquée par plusieurs années de travaux intenses. A nouveau le destin de la forteresse est lié à de fortes personnalités.
Trois d'entre elles en particulier ont eu un rôle majeur dans la restauration du château : l'empereur allemand Guillaume II, l'architecte berlinois Bodo Ebhardt et l'artiste alsacien Léo Schnug.
Présentation...
Guillaume II (1859-1941)
Guillaume II (Friedrich Wilhelm Viktor Albrecht von Hohenzollern), né le 27 janvier 1859 au château de Potsdam à Berlin, est le dernier empereur allemand et dernier roi de Prusse. Il règne de 1888 à 1918.
Son règne est marqué par la révolution industrielle et un militarisme exacerbé.
Désireux d'être le chef moderne d'un pays dynamique, il renvoie, dès 1890, le chancelier Bismarck et lance un plan économique et social qui transforme l'Allemagne en une grande puissance industrielle.
Il ne renouvelle pas le pacte germano-russe d'assistance mutuelle et mène une politique étrangère agressive qui le met rapidement en confrontation avec le Royaume Uni et la France.
Il se rapproche alors de l'Autriche et de l'Italie et entreprend un vaste effort de réarmement.
En 1914, il engage son pays dans la Première Guerre Mondiale. Il abdique le 9 novembre 1918 et se retire aux Pays-Bas où il meurt en 1941.
Tout au long de sa vie - passionné par les arts classiques et l'archéologie - Guillaume II rêve de Moyen Âge et de vertus chevaleresques.
Soucieux d'égaler son grand père Guillaume Ier et de s'inscrire dans la lignée des grands empereurs, il exprime son ambition dans la restauration du Haut-Koenigsbourg. Il suit le chantier de très près, établit des liens étroits avec l'architecte Bodo Ebhardt, et visite le chantier tous les ans.
Féru de châteaux forts, il publie en 1899 "Deutsche Burgen", livre dans lequel il propose des reconstitutions de ruines.
Il édite Der Burgwart, une revue sur les châteaux, qui milite en faveur de la conservation, et surtout de la restauration des châteaux forts médiévaux, ce qui lui vaut de nombreuses critiques d'opposants à la restauration.
Leo Schnug (1878-1933)
Victime de l'alcool et de la solitude, il décède à l'hôpital psychiatrique de Brumath-Stephansfeld, le 15 décembre 1933. Il repose au cimetière de Lampertheim, dans le Bas-Rhin, où sa tombe peut encore être visitée.
Sa première intervention au château date de 1908, lorsqu'il prépare les croquis des costumes du défilé de l'inauguration. Jusqu'en 1914, il réalise les principales peintures murales du monument, dont la fameuse salle des fêtes de l'empereur et la salle des trophées de chasse. Il est aussi l'auteur des œuvres suivantes :
- "Saint Martin partageant son manteau" (Musée de Strasbourg)
- Décorations murales de la Maison Kammerzell et l'ex-pharmacie du Cerf à Strasbourg
- "Der von Tierstein" à la mairie de Lampertheim
Serrurier à Orschwiller (village situé au pied du château), il devient responsable des artisans du fer. Son équipe réalise l'ensemble des ferronneries du château (serrures, herses, chaînes, etc.), installe les machines et assure leur maintenance.
Jusqu'en 1905, il monte tous les jours à pied. Puis il loge sur place, au-dessus de la forge, et installe sa basse-cour à l'Oedenburg ! Après l'inauguration, il réalise encore quelques décorations, dont la grille de la salle du Kaiser qu'il forge avec son fils Armand. Parallèlement, il conduit des visites guidées du monument.
Chef des charpentiers. Il est déjà reconnu dans la profession lorsque Bodo Ebhardt le sollicite pour devenir contremaître, directement sous ses ordres.
Il se marie en 1905 et monte alors tous les jours au départ de Châtenois (village à une dizaine de kilomètres du monument) où ses descendants résident toujours.
Il participe aux travaux de finition jusqu'en 1910. En 1908, il est récompensé pour son travail et reçoit la médaille du souvenir en bronze, dont seulement neuf exemplaires furent offerts.
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