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LE GRAND HIVER

Le Grand Hiver

 

On définit le Grand Hiver ("terrible grand hyver") l'hiver particulièrement rigoureux de l'année 1709.

 

Les difficultés économiques de la France avaient déjà commencé dès 1672, mais elles culminèrent en 1709.

 

Plusieurs éléments entrent en ligne de compte, et d'abord l'état de guerre permanent qui avait fait augmenter les prélèvements fiscaux et ralentir considérablement l'activité économique du royaume.

 

La France était alors engagée dans la guerre de Succession d'Espagne, entamée depuis 1701.

 

Au cours de l'année 1708, les armées françaises commençant à s'épuiser, à bout de forces, furent repoussées de toutes parts.

 

Les finances du royaume étaient au plus bas, suite en partie à l'échec de la Hougue (La Hougue (ou la Hogue) est une rade au nord- est du département de la Manche, près de laquelle Anne de Cotentin, comte de Tourville, combattit sous l'ordre exprès de Louis XIV malgré l'infériorité de ses cadres; il perdit glorieusement un combat contre les flottes de l'Angleterre et de la Hollande après un jour de lutte en 1692.)

 

 

A cela s'ajoutait l'émigration de quelques 300 000 protestants suite à la révocation de l'édit de Nantes en 1685, départs ô combien lourds de préjudices puisqu'ils causèrent de nombreuses suppressions d'activités.

 

 

Comme si les problèmes internes et externes du royaume ne suffisaient pas, la France dut subir les caprices du temps, partageant les années 1692-1713 entre étés extrêmement pluvieux ou accablés par la sécheresse (années 1705,1706 et 1707), et des hivers tout aussi rigoureux.

 

 

Curieusement, l'hiver de 1708 fut très doux puisqu'on relevait à Paris en plein décembre 10°C ! Qui aurait alors pensé que les mois qui allaient suivre plongeraient la France dans l'horreur ?

 

La première vague de froid eut lieu dans la nuit du 6 janvier 1709. Par bonheur, la neige l'accompagnant, les cultures et autres récoltes furent épargnées par le gel.

 

En 24 heures cette vague de froid s'étendit sur toute la France: on releva ainsi -25°C à Paris, -17°C à Montpellier ou encore -20,5°C à Bordeaux !

 

La Seine gela progressivement et on raconte que la mer elle-même commençait à geler sur plusieurs kilomètres de largeur !

 

Le froid n'épargnait personne, et que ce fut à Versailles ou dans la plus petite chaumière de la France profonde, tout le monde grelottait.

 

Au château de Versailles, Louis XIV se voyait contraint d'attendre que son vin daigne bien dégeler près du feu, ce dernier se figeant rien qu'en traversant une antichambre !

 

Les oiseaux tombaient en plein vol, les animaux succombaient de froid au sein des étables et le prix du blé ne cessait de grimper. Il valait huit fois plus cher que l'année précédente.

 

 

Tous les végétaux se mirent à dépérir, le sol gelant sur plusieurs mètres de profondeur; les oliviers, les vignes, et autres arbres fruitiers furent perdus pour plusieurs années.

 

Les cheminées chauffaient mal et nécessitaient un important apport de bois, de toute façon beaucoup trop cher pour la population, laissant ainsi le vent glacial s'engouffrer dans les habitations, faisant descendre la température jusqu'à -10°C.

 

Partout en France on allumait de grands feux pour que les plus démunis puissent s'y réchauffer.

 

 

Lorsque le dégel eut lieu en avril, le constat fut épouvantable, toutes les récoltes étaient pourries. Le 23 avril, par arrêté royal, Louis XIV autorisa à ressemer chaque parcelle de terrain.

 

 

Les villes et communes taxèrent les bourgeois et les "riches" mensuellement pour pouvoir parer au plus pressé : la faim et le manque de nourriture.

 

Tout le clergé en appela à la charité et à l'aumône. Hélas la famine se faisant ressentir, des émeutes et pillages commencèrent à avoir  lieu dans tout le pays et les troupes furent envoyées dans toute la France pour empêcher les vols dans les boulangeries.

 

Les paysans étaient contraints de se nourrir, pour les plus chanceux, de pains faits de farines d'orge et d'une sorte de soupe populaire faite de pois, de pains coupés en morceaux et de graisse... Pour les autres, ce n'était que racines et fougères.

 

 

Soucieux de retrouver le calme et de chasser le spectre de la disette, Louis XIV fit fondre sa vaisselle d'or et invita tous les courtisans à en faire autant.

 

Les dons n'affluant pas, il eut la brillante idée de se faire communiquer les noms des donateurs, ce qui eut pour effet de mobiliser toute la noblesse.

 

Mais le monarque ne s'arrêta pas là, puisqu'il alla même jusqu'à favoriser la piraterie. De ce fait, plusieurs dizaines de navires céréaliers accostèrent en rades de Marseille et de Toulon, ce qui arrêta en partie la propagation de la famine.

 

 

Mais l'été revenu, tous les vagabonds, paysans et autres gens sous-alimentés et affaiblis qui étaient partis sur les chemins de France pour tenter de trouver de quoi se nourrir et travailler contribuèrent à la prolifération des maladies créant ainsi de grandes épidémies de dysenteries, de fièvres typhoïdes ou encore de scorbut.

 

 

La France subira ainsi une crise démographique sans pareil puisque l'on constate qu'entre le premier janvier 1709 et le premier janvier 1711, la population diminua de 810.000 habitants sur une population globale de 22 millions de Français!

Chronologie

 

  • 6 janvier : Début de la vague de froid qui touche l'Europe et particulièrement la France. C'est le début du « Grand Hiver » de 1709. La Seine gèle. Les intempéries rendent le ravitaillement de Paris impossible pendant trois

 

  • 13 janvier : Température record à Paris avec -23.1°C.

 

  • 20 janvier : Dixième jour consécutif où la température est inférieure à -10°C à Paris. Record jamais battu. Record de -26°C à Paris. 24 000 morts de froid à Paris durant le mois de janvier.

 

  • 15 mars : Début de la spectaculaire débâcle de la Seine générant une importante inondation rendant encore impossible le ravitaillement de

 

  • fin mars : Dégel après le « Grand Hiver » qui laisse plus d'un million de morts en France. Presque tous les cours d'eau français ont gelé et même l'océan Atlantique fut pris par le gel le long des côtes françaises! Nombreuses « émeutes de la faim ». Point culminant de l'impopularité de Louis XIV en

 

  • 5 avril : Bloqué par les rigueurs de l'hiver, Paris est approvisionné pour la première fois depuis trois

 

  • 12 juin : Appel de Louis XIV au peuple qui est lu dans toutes les églises du royaume. L'appel est entendu et l'effort de guerre est maintenu malgré l'urgence de la

 

  • 20 août : Emeute de la faim à Paris. La troupe fait feu sur la foule et la ville est mise en état de siège.

 

  • Révoltes dans le Jura



Témoignages

Ain

Saint-Rambert-en-Bugey

Extraits des Mémoires Domestiques de Joseph Philippe Baron, syndic général du Tiers-Etat du Bugey

 

Froid excessif

Le froid qui jusqu'au 5 janvier ne s'était presque pas fait sentir, commença le jour des Rois & continua en augmentant chaque jour jusqu'au 23 du même mois. Il a été si fâcheux qu'on compte qu'il n'y en a point eu de tel depuis plus de 30 ans.

 

Le Rhône était gelé au-dessous de Pierre Châtel [Ain] de telle sorte que des hommes & des chevaux ont passé et repassé sur la glace pendant plus de 8 jours, au-dessus du bas-fort. Il est fort à craindre que nos vignes n'aient gelé.

Misères. Cherté du blé

Le froid ne fut peut-être jamais ni si long ni si piquant qu'il a été dès le commencement de cette année; puisque les nouvelles qu'on reçoit des pays étrangers portent qu'il y a fait un ravage terrible, comme en Hollande, en Angleterre, en Allemagne, en Hongrie etc où un très grand nombre de gens sont morts surpris par le froid.

 

Les animaux même les plus féroces, ont fini par  la rigueur de l'hiver en ces pays- là; tels sont les loups, les sangliers, les ours et autres; quoiqu'en certains endroits où l’on voulait les conserver on eut pris soin de mettre, sous des couverts dans les bois, du foin et de la paille pour les nourrir.

 

 

La France n'est pas plus heureuse, presque dans toutes les provinces on meurt en deux ou trois jours de temps. On compte à Paris plus de trente mil morts en un mois, plus de dix mil à Lyon, parmi lesquels est un grand nombre des jésuites du grand collège.

 

On dit nos arbres tous perdus par le grand froid et nos vignes presque entièrement gelées.

 

Ces maux semblent vouloir recommencer, puisque aujourd'hui 1er jour de mars, il y a ici à St Rambert plus d'un pied de neige et dans la campagne voisine deux pieds, trois pieds et  plus. Elle ne fondra pas si tôt, car  le froid se fait encore rigoureusement sentir.

 

 

Le laboureur ne peut pas semer, il mange par nécessité le blé qu'il devait donner à la terre; le  prix des grains augmente toujours, puisque hier le froment fut vendu à la grenette de cette ville [Saint-Rambert-en-Bugey – Ain] jusqu'à trois livres et douze sols la mesure.

 

L'artisan ne peut presque pas travailler, il peut encore moins vivre, la livre du plus gros pain lui coûtant jusqu'à deux sols six deniers. Nous sommes menacés pour l'été prochain d'être envahis par les allemands qui sont au service du Duc de Savoie. Heureux cent fois heureux sont ceux qui cessent de vivre.

Carême gras

La disette des vivres est si générale, et le froid a tellement gâté les herbages, les racines et les autres choses nécessaires à la subsistance durant le carême, que Monseigneur l'archevêque de Lyon a permis dans toute l'étendue de son diocèse l'usage de la viande pendant quatre jours de chaque semaine du carême, jusqu'au jour des Rameaux exclusivement; à la charge néanmoins de jeûner et faire collation en maigre par ceux qui sont obligés au jeûne.

 

 

Monsieur l'archevêque de Vienne, Messieurs les évêques de Belley, des Chalon, Maçon, et les autres prélats des provinces voisines ont permis la même chose; c'est un soulagement dans nos grand maux. Prix excessif du froment. Froment perdu dans les terres.

 

 

Cherté de l'orge

 

La cherté du blé augmente chaque jour, et dans un seul marché on a vu à Belley le froment de cent sols la mesure qui était le prix auquel il avait été acheté le samedi précédent, être porté vingt- cinq sols au- delà par mesure, c'est à dire à six livres cinq sols; il ne s'en est pas tenu là, car au même lieu de Belley il s'est depuis vendu jusqu'à sept livres et deux sols la mesure.

 

On l'a vendu un peu moins à St Rambert, c'est à dire six livres et six livres cinq sols.

 

 

Ce prix excessif vient de ce que le trop grand froid a fait perdre tous les froments semés en Bresse & en Bugey, à l'exception de quelques endroits des montagnes où la neige a plus longtemps duré ce qui l'a conservé.

 

La Bourgne n'est pas plus heureuse que nous pour les froments semés, ils n'y paraissent pas même à la fin d'avril. Plusieurs personnes se sont avisés de ressemer d'orge les terres ensemencées de froment; ce qui a porté l'orge à un si haut prix qu'il s'est vendu jusqu'à cinq livres la mesure. On dit que par le même endroit il se vend en Bourgne autant que le froment.

 

Visite des greniers

Toutes ces mauvaises circonstances ont déterminé Monsieur Pinon Intendant de Bourgne, Bresse et Bugey, d'ordonner la visite générale des greniers de la province, sans en excepter aucun, pour reconnaître ceux qui ont des grains au-delà du nécessaire pour leur consommation, jusques aux prochaines moissons, afin de les obliger de porter l'excédent au marché.

 

 

J'ai été chargé de voir les greniers du mandement de St Rambert, tel qu'il est connu à l'élection, qui est sur le pied de 18 ou 20 paroisses.

 

J'ai été dans tous les endroits à l'exception de Torcieu, Argis, Tenay & Chaley, parce qu'il est notoire que dans ces paroisses il n'y a pas à beaucoup près le nécessaire pour subsister; et quoique mon département soit le moindre j'y ai néanmoins trouvé quinze cents et quelques mesures de blé à vendre au marché de St Rambert presque tout en froment.

 

Les autres officiers de la province ont fait des pareilles visites, et cela a déjà modéré le prix du froment qui ne se vendit hier 25 avril au marché de St Rambert que cinq livres dix sols le plus beau, nous espérons qu'il diminuera, c'est ce dont nous avons un extrême besoin, parce que l'argent est plus rare qu'il ne fut jamais.

 

La misère arrivée en 1694, dont j'ai parlé, était plus supportable que celle-ci, soit parce qu'il y avait dans le royaume plus d'argent, soit parce que nous étions flattés par l'espérance d'une moisson abondante, en quoi nous ne fûmes pas trompés.

 

Cherté de l'avoine. Vignes gelées

Le jeudi 8 mai le blé froment a été vendu à la grenette de St Rambert cinq livres et douze sols, le méteil cinq livres cinq sols, l'orge trois livres et douze et trois livres et quinze, et l'avoine quarante sols la mesure.

 

 

Le prix des grains est à peu près semblable à Lagnieu ; à Lyon (La disette des grains était si terrible à Lyon, qu'au commencement de mai il y eut un règlement de police qui réduisit à une livre de pain par jour toutes les personnes qui y habitaient, ce qui fut exécuté jusqu'aux moissons.)

 

 

Il est incomparablement plus cher, et encore plus à Mâcon où la misère est tout à fait extrême quelque opulente que soit cette ville-là.

 

Enfin accablés de maux on nous assure encore plus heureux que tous nos voisins; nos vignes néanmoins ont été presque toutes perdues par le trop rigoureux froid de l'hiver, elles ne repoussent que près de terre, et une partie ne pousse pas du tout étant totalement mortes.

 

Je ne compte pas pouvoir recueillir aux vendanges prochaines dix setiers de vin pour moi en toutes mes vignes (je n'en ai eu qu'un setier, et très vert).

 

Je ne puis néanmoins me résoudre à boire l'eau pure non plus qu'à manger le pain d'orge.

 

Perte des noyers

Je compte pour la plus grande perte de la province, celle des noyers que l'hiver a partout si rudement traité qu'ils ne repoussent pas même un bouton, à l'exception de quelques- uns des plus jeunes : mais tous les beaux noyers et ceux qui commençaient à produire sont totalement perdus. Cette perte ne saurait être totalement effacée que par la durée d'un siècle.

 

Cherté des blés. Misères. Cherté du blé noir

Quelque soin qu'on ait pris de faire porter le blé au marché il n'a pas laissé d'enchérir excessivement; le froment s'est vendu à Belley jusqu'à huit livres la mesure, et à St Rambert jusqu'à sept livres et sept livres cinq sols.

 

 

A Lagnieu il coûte pour le moins autant, quoique la mesure soit moindre; l'orge s'y est vendu le lundi 8 juillet cinq livres cinq sols : jamais cependant les menus blés et les légumes n'eurent plus belle apparence, mais leur maturité ne vient pas assez tôt.

 

Tel a des grandes et solides espérances en blé, qu'il commencera à moissonner dans quinze jours, qui souffre aujourd'hui et mourra peut-être de faim avant la moisson.

 

Il y a encore quelques blés, par la grâce du Seigneur, et bien plus qu'il n'en faut pour nourrir toute la province d'ici à la Toussaint : mais ceux à qui ces blés appartiennent ne veulent les vendre qu'au plus haut prix; de sorte que très peu sont en état d'acheter.

 

Le blé noir cependant a été vendu au marché de Belley vers la fin du mois de mai dernier jusqu'à six livres, comme on me l'a assuré, à cause de la semaille ; et samedi dernier 6 juillet du blé noir semé depuis Pâques, moissonné et battu depuis le commencement de ce mois, y a été vendu trois livres et dix sols à des gens qui deux jours après l'ont semé

Moisson de 1709

La moisson des froments a été déplorable, ou plutôt il n'y a eu aucun froment dans toute la plaine de Bugey ni dans la Bresse.

 

La montagne en a porté un peu surtout en Michaille, où on peut dire que les froments étaient beaux, à quelques plantes près qui étaient charbonnées.

 

Les orges et les légumes ont été partout assez abondants par la grâce du ciel; et nous aurions pu compter de voir en très peu de temps l'orge, les légumes et les avoines à juste prix sans les Troupes envoyées sur nos frontières.

Point de vin en 1709

Je ne dois ici parler des vendanges que pour assurer qu'on en a point fait dans tout le Bas- Bugey. Nos vignes qui ne sont pas des moindres de Tourcieu en soixante ouvrées et plus, n'ont pas porté deux setiers de vin. A St Germain, Vaux, Lagnieu et aux environs, on n'est pas même entré dans les vignes pour vendanger.

 

Cule & Seyssel auraient encore quelques raisins : mais la guerre les a beaucoup diminué. Le bon vin se vend à présent, je veux dire au mois d'octobre, jusqu'à vingt francs le setier.

 

Dieu nous donne au moins du pain et la paix. Cette rareté du vin nous est venue du trop grand froid que souffrirent les ceps aux mois de janvier et février derniers. On dit les Languedociens bien plus heureux que nous en fait de vendanges.

Abondance de blé noir. Prix des grains

Il y a, par la grâce du ciel, une si grande quantité de blé noir en cette province, qu'on dit que cette sorte de grains seule peut suffire pour nourrir tout le Bugey; c'est sans doute ce qui a fait diminuer les autres grains; car le froment ne se vend plus que trois livres dix sols ou trois livres et quinze le plus beau.

 

Le méteil quarante sols, et vingt- huit ou trente sols l'orge. Ce blé noir après avoir coûté jusqu'à six livres vers le commencement de juillet, ne coûte à présent que douze sols. Si Dieu voulait nous donner la paix, nous n'aurions guère plus de sujet de nous plaindre : mais quand viendra telle cette fille du ciel ? Nos péchés l'éloignent toujours de nous.

 

Saint Symphorien de Mahun (07)

Grand hiver 1709 (Saint Symphorien de Mahun (07) Champavere par Jacques Mouly 1788-1856)

 

Qu’on peut dire surpasser de beaucoup les autres en événements funestes, par son froid excessif, par la mortalité et par la disette des vivres dont le peuple manqua et fut affligé ; Aussi cette année a-t-elle été appelée tantôt l’année du grand hiver, l’année de la cherté, l’année du mauvais temps ou de la misère.

 

Le froid commença par un air extrêmement vif le jour de la fête des rois, et il fut si violent pendant fort longtemps que tout devenait glacé même aussi près du feu, et il est à remarquer que cent ans auparavant c’est-à-dire l’an 1608, il fit un froid à peu près semblable qui emporta aussi la récolte.

 

L’on était en peine où se mettre à l’abri de ce froid excessif et rigoureux, l’on entendait les arbres les plus gros se fendre avec fracas par le milieu, tellement que la majeure partie en fut étouffée, et le bruit effroyable qu’on entendait annonçaient les signes qui devaient précéder la fin du monde et le jugement universel ;

 

De là bien des pauvres moururent pour manquer du nécessaire à la vie animale, ou de la rigueur du froid. On assure même que ce froid violent saisit les entrailles et le cœur de plusieurs voyageurs et les rendit victimes d’une pitoyable mort.

 

Après le dégel, il se fit une nouvelle glace pour un nouveau froid qui se manifesta bientôt après, les semences furent étouffées ou pourries dans le sein de la terre. Ici qui pourrait exprimer la consternation générale de cet événement sinistre,

 

Lorsque le printemps arriva, au lieu d’apporter la joie ordinaire sur la terre par la verdure des champs et par la fleur des arbres ; au lieu de consoler le laboureur par l’espérance  de ses fruits, ne lui présenta que l’idée de la mort et du désespoir ;

 

En effet le blé seigle qui ne se vendait que 5 sous la quarte, lorsque cette désolante intempérie eut lieu, augmenta considérablement, et au point que le besoin de vivre et d’ensemencer de nouveau les terres, le froment se vendit jusqu'à 12 F la quarte, le seigle 9 F la quarte, le vin 28 F la somme, les pois ou haricots 8 F, le blé noir 9 F, les truffes 3 F, le pain blanc 6 sous et le pain bis dont on ne pouvait avoir à Annonay, que par des billets des consuls, 4 sous le reste des comestibles à proportion, excepté la viande qui fut toujours assez bon marché.

 

Il n’y a que ceux qui vivaient en ce temps- là qui puissent apprécier la misère des  pauvres ; En effet la plupart après avoir employé le peu d’argent qui était en leur pouvoir pour s’aider à subsister, vendirent leurs meubles même avec empressement, et lorsqu’ils avaient épuisé cette ressource, ils vendaient leurs propriétés avec le même empressement, quoiqu’à fort bas prix, pour se garantir de mourir de faim.

 

Mais le Roi Louis 14, touché de la situation où cette calamité publique avait réduit le bas peuple, promit par différentes déclarations de faire rentrer chacun dans ses droits, en remboursant le montant des acquisitions.

 

Ce qui contribua à cette cherté extraordinaire des vivres fut : 1° que le froid se fit sentir aussi violemment dans tout le royaume et les nations voisines, de sorte que l’un ne pouvait rendre aucun service à l’autre ;

 

La multitude des pauvres devint telle que ceux qui auraient été dans le cas de faire des aumônes étaient réduits eux même à la dure extrémité de la demande après un certain temps;

 

Ce qui contribua d’avantage à la misère fut la dureté tout à fait criminelle des riches qui ne leur tendirent que peu de secours, à la réserve de quelques- uns, mais en petit nombre ; sans doute parce que les uns étaient jaloux de s’engraisser de la subsistance des malheureux et les autres craignaient d’être atteints eux même par la disette, en comptant trop peu sur la divine providence.

 

Il y en eut beaucoup qui ne mangeaient que de viande qui était encore à très bon prix ; Ceux qui n’avaient point d’argent pour s’en procurer, vivaient de quelques herbages, ce qui causa des maladies et en conduisit plus au tombeau que la famine etc.

 

Il se fit du pain de son, et quelques -uns mêlaient à un peu de farine du gland et des grappes de raisin, Il mourait tous les jours des pauvres dans leurs maisons et dans les rues, plutôt de faim que de maladie. Rien n’était plus affligeant que de voir les portes des gens aisés assiégées par les pauvres demander le plus pitoyablement, la mort peinte sur le visage, quelques morceaux de pain qui étaient si rares pour eux qu’ils passaient souvent plusieurs jours sans en gouter.

 

Il se commettait journellement des vols. Dieu versa une telle bénédiction sur les orges et avoines qui furent semés après l’hiver, qu’un sestier en produit jusqu’à vingt. Du reste, les usuriers furent singulièrement punis de leur cupidité, car la plupart ayant fait des accaparements en blé et autres objets sujets à spéculation, se virent forcer à livrer à un prix modéré ce qu’ils avaient accaparés : en moins d’un Dieu répandit la bénédiction sur la terre.

 

 

 

Aveyron

Villefranche de Rouergue

Dans les Annales de Villefranche de Rouergue d'Etienne Cabrol on trouve ces lignes :

 

"Cette année 1709 est très remarquable par le froid extraordinaire et surprenant qu'il fit cet hiver. il commença à se faire sentir sur les 9 à 10 heures du soir du 6 au 7 janvier et dura avec tant de force toujours en augmentant jusque au 22 du dit mois sans aucune relâche nuit et jour.

 

 

Le vin se gela dans la vaisselle vinaire, quoiqu'il fût bien pur et bon, même l'eau de vie glaçait d'abord qu'elle était versée dans un verre, des clefs se prirent dans le moment aux lèvres de certaines personnes dès qu'on les porta à la bouche et le 21 janvier il arriva à un homme qu'une assiette sur laquelle on avait mis du bouillon tout chaud sortant du pot pour le goûter, se prit à ses lèvres et en la retirant lui emporta la peau de dessous, quand il voulut l'ôter, à l'heure de midi, quoique la chambre où cela arriva fut bien fermée avec un bon feu.

 

Des gens qui dormaient dans leur lit, en s'éveillant trouvaient leur bonnet collé et gelé au chevet du lit, leur haleine épaissie s'étant glacée sur le coussin. Enfin les personnes qui se tenaient auprès d'un grand feu, les portes et fenêtres bien fermées, à peine ressentaient-ils sa chaleur, et le bois sec brulait sans vigueur...

 

La deuxième semaine de carême, le lundi, revint encore le grand froid qui se fit bien ressentir pendant 10 à 12 jours, et gela presqu'aussi fort que devant et le reste de ce carême il fit encore beaucoup de froid entremêlé de dégel, ce qui cause la démolition de plusieurs bâtiments, et des maisons entières croulèrent jusques aux fondements dans la présente Villefranche.

 

Lors de cette première grande gelée le froid était si véhément, qu'on trouva des hommes morts sur les chemins par la rigueur de la saison, en ce même temps il arriva en la présente ville, qu'un tireur de laine fort malade, des fièvres pestilentielles, était dans une forte rêverie, se leva bon matin et sortit de sa maison tout en chemise, courant par les rues, et étant passé par la porte de Guiraudet s'en alla tout en fièvre comme un insensé jusqu'au moulin de La Bouïsse prés d'Horlhonac.

 

Sa femme surprise de ne le trouver point au lit, le chercha partout en vain, car on l'avait arrêté à ce moulin n'en pouvant plus, et l'ayant réchauffé, on le ramena le soir chez lui, où il resta longtemps fort mal, pourtant sans mourir de cet excès, duquel il n'eut que les doigts  des pieds qui lui tombèrent tout à fait. A la fin, il rétablit sa santé et vécut encore plusieurs années, gagnant sa vie du travail de ses mains, ce qui parut une chose fort étonnante et digne d'être remarquée.

 

On allait pour lors à la chasse sans poudre ni fusil parce qu'on prenait les lièvres, les lapins, les perdrix et les autres oiseaux de plusieurs espèces sans peine à la main.

 

Enfin ce qui endommagea le plus tous les arbres fruitiers, car les autres ne périrent point par cette rude saison hormis les plus vieux ...

 

La meilleure partie de la récolte ayant péri, on ressema à la campagne beaucoup de menus grains soit dans les champs soit dans les vignes.

 

Presque tous les arbres de noyer ne repoussèrent point, et c'est pour lors qu'on appréhenda de les avoir perdus sans ressource, ce qui allait être un très grand dommage.

 

Une infinité d'arbres moururent, de sorte que la campagne fut presque sans feuillage au mois de mai et elle paraissait si triste pour l'espérance d'une bonne récolte que le blé devint extrêmement cher aussi bien que le vin.

 

Ce fut enfin une chéreté horrible que les vivres et une misère générale dans tout le royaume de France dont toute l'Europe se ressentit aussi et qui se plaignit d'un froid si extraordinaire"

Hérault

Cabrières

À Cabrières l'hiver fut si rude et la gelée si extraordinaire que le vin se gelait dans les tonneaux. Les arbres et surtout les oliviers avec les figuiers moururent jusqu'à la racine et tous les blés et autres semences des champs, de sorte que l'on fut obligé de semer jusqu'à 2 ou 3 fois. La gelée ayant duré jusqu'au mois de mars la paumelle d'orge valait jusqu'à 9 livres et plus.

 

 

Indre

Baudres

Source : AD36 Registres paroissiaux BMS 1655-1770 (E Dépôt 007/2-4) pages 229 et 230

 

Le six de janvier 1709 le froid commença si fort que jamais l'on en vit si cruel, la neige tomba avec abondance le neuf et tous les moulins du pays à l'exception de celui de la cour [... ? ...] jamais aller de sorte qu'on ne pouvait avoir de farine et on ne voyait que pleurs et désolation même dans cette paroisse parce que le petit moulin de la cour ne pouvait contenter le monde et plusieurs moururent de faim dans les autres paroisses et on tient qu'à Paris il y mourut plus de 40000 personnes.

 

Il dura jusqu'au 24 du même mois. Après plusieurs jours forts beaux il reprit le 14 février et dura encore 15 jours. Il reprit encore pour la troisième fois le dix de mars et dura jusqu'au 15 du même mois

 

Loiret

Corbeilles

Le curé de Corbeilles, Mathieu Roger, en a laissé cette description :

Cette année 1709 commença avec le plus cruel, le plus grand et le plus désolant froid qu’on ait jamais vu en France.

 

Dans cette paroisse, il ne resta point de blé du tout, en sorte qu’il n’y eut pas un demi- boisseau (6 décalitres) de blé de dîme, encore ce blé avait-il été fait en mars. Les noyers qui couvraient tout ce pays et qui avaient, la plupart plus de 200 ou 300 ans, gros comme des tonnes, furent tous gelés et mis en cordes pour brûler. Il y en avait 301 dans les terres de la cure.

 

Pour vivre on ressema de l’orge qui valut jusqu’à 15 livres la mine (= 6 boisseaux) et 10 jusqu’après la moisson. Le blé valait jusqu’à 25 livres la mine (quintuple du prix ordinaire). Il en fut même vendu jusqu’à 90 livres le sac en Beauce.

 

L’avoine qui était, avec la vesce et les sœurs (racines de fougères), la nourriture des pauvres, valut jusqu’à 5 livres la mine, mais la Providence eut pitié des habitants de la terre qui mouraient de faim, car les grains commencèrent au commencement de l'année 1710 à bien diminuer, de sorte qu’à Pâques suivant (1710), le blé vint à 6 livres la mine, l’orge 1 écu 10 sols et l’avoine 40 sols la mine.

 

Nonobstant cela, depuis la Toussaint 1709, la mortalité commença à Montargis et se répandit par tout le pays et le royaume. On en enterra jusqu’à 25 et 28 en un jour à Montargis.

 

Elle attaqua cette paroisse (Corbeilles) au mois de mars 1710 et il mourut plus de soixante personnes depuis 20 ans et au-dessus et, y compris les pauvres, plus de 100 (1/7 de la population), et elle dura jusqu’à la St Martin d’hiver (11 novembre) ensuivant. Il mourut aussi cette année plus de 150 curés dans le diocèse de Sens.

 

Les riches contractèrent la maladie des pauvres qui vinrent dans le Gâtinais chercher du pain, le regardant comme le meilleur et le plus abondant en orge, quoique cette paroisse n’ait recueilli que la moitié de ce qu’elle devait, les herbes et comme on dit les camomilles les ayant étouffés en partie à cause des pluies continuelles qui régnèrent dans tout le printemps jusqu’à la moisson. En un mot, en moins de 18 mois, par un coup du Très Haut, on vit le blé à 25 livres et à 3 livres la mine mesure de Corbeilles.

 

 

Maine-et-Loire

Jumelles

Registre paroissial de Jumelles (BMS 1702 - 1711, page 193 des archives numérisées du Maine-et-Loire):

 

Le sixième janvier dernier 1709, il commença à geler d’une si grande force que l’on ne pouvait se chauffer. Il neigea, il dégela, et gela coup sur coup jusqu’à quatre fois différentes. Cette froidure et gelée et le dégel furent si préjudiciables que tous les bleds moururent en terre.

 

Les noyers, oliviers, presque tous les fruitiers furent morts. Les uns ont repoussé par le pied entre deux terres, les autres sont entièrement morts. Les vignes gelèrent. Les unes ont repoussé par le pied, les autres du tout. Le vin a été à 40 écus la pipe, le froment à 4

  1. t. le boisseau, le seigle à quarante sous le boisseau de Longué, le mil vingt-cinq, le breton vingt sols.

 

Il fallait voir la misère et la quantité de pauvres. L’Anjou ne fut pas si affligé que le pays d’en haut. Ce diocèse eut du bled, et non du vin et n’était qu’on venait d’ailleurs enlever les grains, ce pays abondait, et le bled n’y eût pas été cher.

 

Le 11ème jour de juin 1709, jour de St Barnabé, il plut tant que la Loire rompit la levée en plusieurs endroits. On ne vit jamais un si grand débordement. Ce qui causa une grande perte depuis la source de cette rivière jusqu’à son embouchure, tous les bords étant bons en pré ou en bonne terre labourable.

 

Le 1er mai 1710, la gelée perdit toutes les vignes, ce qui a mis le vin hors de prix.

 

Les maladies et la mortalité ravageaient les villes entières en Rouergue, en Languedoc, à Montargis, Gien. L’Anjou a toujours été exempt et de cette grande misère et de cette mortalité.

 

 

Nord

 

L'hiver fut long et le froid si pénétrant que de temps immémorial on n'en avait point vu de pareil. Il commença le jour de l'épiphanie le 6 janvier et durant 17 jours, le vent est si fort et le froid qu'à peine on pouvait demeurer dehors, un grand nombre de personnes furent incommodées, les uns ayant une partie des pieds et d'autres les doigts des mains gelés, particulièrement chez les marchands qui étaient obligés d'aller par les chemins, ou l'on trouva en beaucoup d'endroits des personnes mortes du froid.

 

Les arbres des campagnes souffrirent beaucoup, la grande partie des chênes, même les plus gros, se fendirent de haut en bas, se faisait entendre de fort loin dans les bois, la moitié des arbres fruitiers périt, toute la nature fut entièrement gelée. Les sangliers et les loups ne purent s'en garantir, il en mourut beaucoup. Les suites furent funestes car au dégel, presque tout le monde se trouva attaqué d'un rhume qui commençait par un débord dans la tête avec de grandes douleurs et ensuite, tombait sur la poitrine souvent avec une douleur de côté et cette maladie fut générale.

 

Rhône

Tarare

Bilan de l’année 1709, écrit en latin par le curé Desplasses sur le registre paroissial de Tarare

 

En cette année 1709, où l’hiver atteint son plus haut degré de rigueur, disait-on, il arriva un fait digne d’être noté et que je tremble à rapporter. C’est horrible à dire, mais ce fut plus horrible à voir. Ce qui est le plus nécessaire à la nourriture des hommes fit défaut. Si bien que non seulement les pauvres, mais même les riches pouvaient avec peine avoir un morceau de pain.

 

De là, il est facile de juger combien la disette et la pénurie furent grandes cette année-là. Ce fut l’une des plus cruelles comme ses effets l’ont prouvé.

 

En traversant soit les campagnes, soit les bourgs, vous auriez vu, bienveillant lecteur, de toutes parts des morts et des mourants. Si bien que ceux qui ont sérieusement examiné la question osent dire que plus de deux cent mille personnes sont mortes de faim cette année, en l’espace de six ou sept mois.

 

Mais ce qui fut cause d’une nouvelle tristesse, la mortalité des hommes passa aux animaux l’année suivante, surtout sur les bœufs et les moutons, si bien qu’en certains lieux, il n ‘en reste pas un qui n’eut péri de cette peste.

Desplasses, archiprêtre de l’Arbresle et curé de Tarare.

 

Saône-et-Loire

Saisy

Jean Thonnard curé de Saisy et chapelain de la chapelle Notre Dame

 

Ceux qui liront les registres seront sans doute surpris de voir une si grande mortalité mais ils le seront encore d'avantage d'en apprendre les funestes causes, c'est ce qui m'a fait prendre la résolution d'en laisser quelque chose à la postérité, de remplir le cahier qui serait trop petit pour comprendre l'abrégé qu'on pourrait lire de tant de malheurs dont nous avons été les témoins, on ne peut penser à tant de maux qu'avec une extrême et le seul souvenir fait horreur, on a raison de dire que les siècles ont des fins et des commencements bien fâcheux ou plutôt disons que la divine Bonté lassée des péchés des hommes a voulu les punir en ce temps.

 

Il faudrait commencer par dire que Dieu semblait vouloir avertir les hommes depuis plusieurs années par une stérilité très grande, les terres ne produisant presque rien par des révolutions des saisons extraordinaires plusieurs années se sont passées sans hiver ou s'il faisait (...) au mois d'avril et de mai, on a vu les 29 et 30 mai les blés en fleurs tout perdu par une neige qui causant le froid fit geler lesdits blés, de sorte qu'on recueillait par endroit les semences, et en d'autres rien du tout, on ne prenait même pas la peine de vouloir moissonner la paille qui restait et pourrissait sur la terre.

 

On a vu une autre année des vents furieux s'élevant et soufflant avec tant de véhémence qu'ils renversaient beaucoup de maison et dévastèrent en cette paroisse plus de 2000 pieds d'arbres, les pluies ont été si abondantes, les orages si effroyables qu'il semblait que Dieu voulait encore punir le monde par un second déluge.

 

Les maisons renversées, des villages entiers engloutis par les eaux, les rivières près de la Loire prendre d'autres cours, une infinité de personnes noyées, les prairies abimées et couvertes de boue et quantités d'autres effets funestes qu'il me serait trop long de rapporter ont été les causes de tant de maux que nous n'avons vécu qu'avec frayeur.

 

Depuis 1692, les temps ont été si déréglés qu'on aurait peine à remarquer les saisons, il semblait que l'hiver était confondu dans l'été on ressentait alors des froidures presque au milieu de l'été et des chaleurs en hiver, de si grands dérèglements dans les saisons causaient la stérilité de la terre et des maladies dangereuses aux hommes et ce qui est surprenant, c'est qu'on en ait trouvé plusieurs qui par des chaleurs soudaines et par certains coups de soleil trop violents ont été étouffés dans un instant.

 

 

La nature si dérangée a produit chaque année des maladies extraordinaires qui ont souvent étourdi les médecins, des fièvres pestilentielles, du flux de sang, du pourpre porté de ville en ville par une certaine infection de l'air ont fait des ravages terribles.

 

On remarque qu'à Paris en une année étaient morts plus de 100 000 personnes plus de 32 000 à Lyon, plus de 4 000 ou 5 000 personnes à Dijon et autant par rapport dans les autres villes.

 

On n'osait plus sonner les cloches pour les défunts de peur d'effrayer le reste du peuple déjà assez consterné. Et l'on a observé que les airs empestés allaient volant de ville en ville, les unes après les autres, le mal commençait toujours du côté de la Saône et surtout à Mâcon et à Chalon.

 

Voilà ce qui est arrivé depuis environ 18 ans et quoique ces maux fussent grands il y avait relâche, et on avait de quoi se soulager. Mais en cette malheureuse année de 1709 toutes sortes de maux sont venus en même temps punir les hommes.

 

On ne peut penser à cette année de misère qu'avec horreur, tonnerre et vent, une guerre déclarée depuis plus 20 ans toute l'Europe en feu, toute l'Europe contre la France, des batailles effroyables, des provinces ravagées, des taxes, des subsides, des impôts et des vexations horribles avaient déjà mis le peuple dans une disette d'argent extrême, les provisions des années passées qui étaient stériles très petites, une guerre sanglante qui dévore tout est la source de la peste et de la famine que nous endurons, fléaux terribles de Dieu qui nous châtient et voici en peu de mots la source de cette famine.

 

L'année 1709, le six janvier à deux heures de l'après-midi le soleil était opposé à la terre, il s'éleva une bise si forte et apporta un froid si cinglant qu'il était en son dernier degré et jamais il ne s'est peut être fait une froidure plus rigoureuse qui dura jusqu'au mois de mars.

 

La terre était couverte de neige et les blés auraient été conservés si elle eut toujours tenu mais le jour elle fondait et la nuit le temps s'éclaircissant il gelait plus fort qu'auparavant et toujours en augmentant et cela à 3 ou 4 reprises de sorte que n'ayant plus de neige sur la terre qui puisse conserver les blés et la gelée se fortifiant toujours devait enlever de terre ou déraciner enfin lesdits blés.

 

Les campagnes auparavant couvertes de verdure ne paraissant plus que terre stérile sur qui on ne pouvait trouver un brin de blé et la plupart étonnés de ce spectacle allaient  dans les champs creuser et fouir la terre pour voir s'ils ne trouvaient pas encore le germe mais inutilement.

 

Les pauvres gens faisaient courir le bruit que les blés restaient encore épargnés, mais leur espérance fut vaine, tout a été perdu, excepté, quelques petits cantons qu’on avait fait dans les bois, qui furent conservés par la neige qui ne fondait pas sitôt dans les endroits couverts et sauvages.

 

Le peuple donc, tout consterné, hors d'espérance de récolte, sans provision, était déjà en alarme et en émotion, on ne pouvait sortir du blé des villes qu'en danger de perdre et le blé et la vie, à combien cela est-il arrivé.

 

Le blé monta aussitôt à un prix excessif et ceux même qui en avaient ne voulaient pas en vendre et le cachaient dans les cheminées qu'ils faisaient murer ; on vendit ledit grain jusqu'à 14 francs le froment, 12 livres le seigle, 6 livres l'orge et 4 francs l'avoine quelques chers qu'ils furent, personne ne voulaient vendre dans les marchés, on se l'arrachait des mains et chacun en voulait avoir pour son argent, les plus forts l'enlevaient et les plus faibles étaient malheureusement foulés aux pieds avec leur argent en mains, il se faisait des séditions et des tumultes terribles.

 

Les pauvres gens qui n'avaient ni blé ni argent avaient déjà pris la résolution de voler et les chemins qui en étaient couverts donnaient une si grande épouvante que personne n'osait se mettre en campagne pour faire voyage, on insultait et on attaquait partout même jusqu'aux maisons de la campagne ceux qui n'avaient point de provisions.

 

Comme les seigneurs, ne pouvaient en chercher, ni se mettre sur les chemins qu'en assemblant de grosses troupes d'hommes armés et souvent risquaient une mort car plusieurs villages assemblés et biens armés de toute pièce même jusqu'aux femmes ce qui faisait plus de peine en ont souvent arrêté et partageaient le dit grain entre eux impunément pour éviter de périr de faim, les pauvres n'ayant ni grain ni argent défendaient leur malheureuse vie de toute manière, les riches avec leur argent n'avaient pas plus d'espérance, puisque personne ne voulait vendre en ces tristes et fâcheuses circonstances, tout le monde pour défendre sa malheureuse vie se faisait la guerre.

 

Il n'y avait que les faibles pressés par la faim et qui courraient partout pour échapper à la mort qui enfin étaient arrêtés par cette cruelle qui les terrassaient et en faisait de tristes exemples, on a trouvé dans les bois proches des buissons et dans les campagnes et sur tous les chemins, les uns à demi morts, d'autres déjà expirés et quelques- uns languissant et si pressés de la faim qu'ils ne pouvaient faire un pas.

 

Nous en avons une quantité en cette paroisse et un grand nombre de nos paroissiens ayant quitté les lieux pour aller chercher sa vie dans un pays plus abondant et moins stérile ont fini leur malheureuse vie de la même manière que les autres, dans un pays où ils s'imaginaient la prolonger et nous comptons près de 200 en cette paroisse que la famine a enlevé de cette vie, tant en ce lieu qu'ailleurs, plusieurs ont été trouvé du côté de Chalon et de Beaune déjà expirés sur les grands chemins.

 

C’est voir une chose pitoyable que de voir toute sorte de personne dans les prairies cherchant des herbes et pâturant comme des bêtes, leur visage décharné, pâle, livide, noir et abattu, leur corps chancelant semblable à des squelettes faisait peur aux plus résolus, tandis que ces malheureux combattaient leur vie d'une si fâcheuse manière, les bourgeois et habitants des villes avec la force de maintes armées sortaient des villes en bataillons et allaient assiéger les maisons de campagne où il se servaient du grain, ils (...) des greniers d'abondance qu'ils emplirent de blé qu'ils verraient enlever par force dans les villages, ils étaient souvent plus de 200 où 300 hommes armés, on faisait des espèces de siège dans les maisons qui étaient capables de résister et il y eut même du côté d'Autun 2 où 3 hommes tués.

 

 

Le grenier de cette ville fut bientôt rempli de 14000 où 15000 mesures de blés, toutes les villes de la province en firent de même, mais Dieu les punit car le grain qu'on croyait monter jusqu'à la somme de 20 livres devint en 5 ou 6 mois à 5 ou 6 livres, il n'y eut que pour la semence du mois de septembre et d'octobre que le froment se vendait encore 10 livres, et le seigle nouveau 8 livres.

 

Cependant on faisait des processions de tous les endroits du diocèse, qui venaient à St. Lazard pour implorer la miséricorde de Dieu pour son peuple, il y avait tous les jours un peuple infini et il en venait de 20 à 25 lieues de la ville épiscopale on ne pouvait voir les processions sans être vivement touché.

 

On était dans une consternation étrange, le pain qui était très cher était si rare qu'on n'en pouvait avoir, le boulanger ne voulait pas le faire, le pain d'avoine s'est vendu jusqu'à 3 soles la livre et dans le Charolais et le Morvan la plupart ne vivait que du pain de fougère.

 

Dieu enfin touché par tant de maux qui demanderaient des livres entiers ne peuvent être exprimé dans un petit abrégé Dieu apaisa sa colère et on sema tant de trémois (de tres, trois, et mensis, blé de trois mois) qu'il y en eu suffisamment pour l'année.

 

L'année suivante le bon grain ne se vendit plus que 3 livres, les habitants des villes furent punis de leur violence par une abondance imprévue et les usures de leur vénalité.

 

Chambilly

Cette année- là, devant le Jour des Rois, il fit un froid si grand que les bleds gelèrent dans les terres, les vignes par conséquent les noyers et une grande partie des arbres fruitiers. Le bled valut jusqu'à 20tt le bichet

Noel Odinet, curé de Chambilly.

 

 

Tarn

Castanet

Extrait du registre de l'église paroissiale de Castanet:

 

En Albigeois le septième de janvier, l'hiver commença rudement, il fit quantité de neige jusqu'au vingt février, les arbres furent pendant plusieurs jours couverts de glaçons, ce qu'on appelle vulgairement le givre, et le froid fut si rude qu'on ne se souvenait plus d'en avoir vu de semblable.

 

 

Le vin glaçait dans les caves et faisait fendre les barriques, le pain se gelait en quelque endroit que ce fut et jusqu'au 25 février. Les noyers périrent entièrement, plusieurs chênes et quantité de pruniers et autres arbres fruitiers se séchèrent, ce qui causa une si grande disette qu'on fut obligé à Albi de tenir le blé à 14 livres le setier et d'en empêcher la sortie, les mois de mai, juin, juillet et août.

 

Il vint jusques audit temps à 20 livres le setier et on obligea, par ordre de Sa Majesté, de faire le dénombrement des grains que chaque particulier avait audit an, à la récolte qui fut le 16 d'août. Le blé valait à Albi 24 livres le setier, le seigle 18 livres, les fèves autant, ce qui dura jusqu'aux semailles.

 

Au mois d'octobre, audit an, la rivière du Tarn inonda si fortement que l'eau montait jusque près la porte de l'église de la Madeleine, ce qui causa beaucoup de dommage: elle emporta les toits des moulins d'Albi jusqu'à Gaillac, elle  passait  sur  le  chemin  d'Albi à Cordes et inondait partie de la plaine qui est le long du dit chemin, en sorte que pour aller d'Albi à Cordes il fallait prendre le chemin d'Albi à Mailhoc, et l'eau abattit plusieurs maisons du côté des Avalats. Cette inondation donna de la crainte à toute la ville d'Albi qui fit une procession générale pour prier Dieu de vouloir apaiser cette inondation.

 

Vendée

La famine en Vendée :

 

Cette année était une des plus mauvaises années depuis plus de trois siècles. Des arbres qui existaient depuis plus de trois cent ans comme les piniers, les châtaigniers, les noyers, les chênes, les buis et autres périrent par la rigueur de l'hiver

 

La gelée n'a pas seulement attaquée les arbres les plus forts et les plus vigoureux, elle a encore fait périr les blés et geler les vignes, il ne s'est pas recueilli un raisin dans les plaines le peu de blé qui soit resté après la gelée, n'est venu à maturité qu'à la fin du  mois d'août, et il y en eu dans les champs au mois d'octobre et on n'a pu le battre qu'au mois de novembre tant l'été a été pluvieux.

 

Le prix du froment a été de quatre cent livres le tonneau, le seigle de trois cent livres, mais ce qui passe l'imagination c'est que le blé noir, méchant grain a valu comme le froment une pistole le boisseau.

 

Le vin de nos plaines s'est vendu deux cent livres le tonneau jamais la misère et la désolation n'a été si grande parmi les peuples, l'état des pauvres n'a jamais été si déplorable. Le commerce étant ruiné depuis plus de dix ans, joignez à tout ceci une guerre cruelle qui ravage l'état depuis plus de vingt ans, toute l'Europe armée et réunie contre la France.

 

Si jamais il n’arrivait rien de semblable dans la suite, à ce qu'a dieu ne plaise, il faudrait ressemer surtout du seigle, de l'orge aussitôt après les gelées.

 

Ceux qui ont ressemé ont parfaitement bien réussi, il y en a qui ont labouré de nouveau et ensemencé les terres tout comme ils l’auraient fait à la St Michel et d'autres se sont contentés de gratter les sillons et de jeter du grain où il en manquait.

 

Les uns et les autres en ont recueilli en abondance. Mais peu de gens se sont avisé de ressemer en ce canton aussitôt après les gelées.

 

Ils ont cru se dédommager par le mil et le blé noir qu'ils ont semés au mois de mai ce qui n'a point réussi en beaucoup d'endroits ou du moins le temps a été si mauvais lorsqu'il fallait recueillir ces sortes de grains qu'on a été trompé dans l'espérance qu'on avait d'en avoir une grande quantité.

 

 Bibliographie

 

  • Marcel LACHIVER, Les années de misère, Paris, Fayard, 1991
  • François CARON & Thomas DELVAUX, 1709/1710 : quand les fléaux s’abattent sur l’Artois, Généalogie 62, n° 94, Hénin-Beaumont, 2e trimestre 2007, 114-132.

 

  • Thomas DELVAUX, Des fléaux et des hommes : Saint-Omer et Aire-sur-la-Lys de la guerre de Hollande à la mort de Louis XIV (1672-1715), 3 tomes, mémoire de maîtrise, université d’Artois, 2000-2001.

 

  • Jean d'Aillon, L'obscure mort des Ducs, nouvelles dont "le grand hyver", ed. Labyrinthes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



19/05/2020

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