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MEMOIRES FAMILIALES : LA PISTE DE LA PSYCHOGENEALOGIE

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« Je sentis alors combien nous habitons nos secrets de famille avant de les voir avec un peu de netteté ; et que ces épisodes impensés ne sont pas rares. Chaque lignage semble posséder sa part d'angles morts. Sans doute sont-ils même le meilleur ciment de nos clans, tout en les détruisant ». Alexandre Jardin

 

 

 

 

Chaque Homme est le fruit, le descendant de deux lignées. Des lignées qui ont vécu, aimé, souffert, ri et pleuré. Traversant les guerres et autres soubresauts de la grande Histoire, notre histoire singulière s’est construite au fil des siècles. Certains d’entre nous la connaissent plutôt bien, pour d’autres les connaissances sont plus floues, parfois inexistantes…

 

 

 

C’est le travail du généalogiste que de construire un arbre grâce à l’étude des sources, actes d’état civil, actes notariés, registres militaires ou même articles de presse, et offrir ainsi aux vivants un tableau des ancêtres.

 

Ce travail permet d’obtenir de précieuses données, et nous renseigne sur les lieux de vie de nos aïeux, leur environnement, les membres de leur famille, leurs métiers… in fine ces connaissances issues de l’arbre généalogique les rapprochent de nous, et nous aident à mesurer leurs difficultés, dessinant ainsi les contours de vies souvent dures, traversées par la violence des conflits récurrents et des deuils précoces.

 

 

 

 

Quand l’arbre contredit l’histoire familiale

 

Il arrive fréquemment que des données nous interpellent : des décès d’enfants dont on ignore l’existence à la génération très proche de nos grands-parents. Des filiations incertaines, comme cet enfant qui naît plusieurs années après le décès de son père, et dont la mention sur l’acte de naissance signale « le père, absent pour affaires ». Ou encore une arrière grand tante, inconnue des générations actuelles, dont les actes de naissance et décès attestent pourtant d’une vie assez longue, et que l’on retrouve par la consultation des archives médicales d’un grand hôpital psychiatrique… Un ensemble de faits qui, révélés par les actes, nous questionnent et rebattent les cartes d’une vérité officielle arrivée jusqu’à nous.

 

 

Psychanalyse et mémoires familiales

 

L’étude de l’arbre généalogique apporte ainsi son lot de surprises, dévoilant parfois certains secrets. En parallèle, des psychanalystes ont  investi le champ généalogique après constatation et compréhension d’un certain nombre de mécanismes chez leurs patients.

 

C’est le propos de cet article que de présenter leur travail, et ainsi mettre à disposition des clefs de compréhension pour tout un chacun.

 

L’idée qui fonde la psychogénéalogie est de travailler, dans le cadre d’une cure analytique, à la fois sur notre vécu personnel, nos « valises », mais aussi sur celles que nous portons malgré nous, héritées de nos ancêtres. Ces valises sont constituées d’évènements qui, tellement douloureux et indicibles, n’ont pu être acceptés du vivant de nos aïeux et ainsi continuent, tels des fantômes, de hanter la psyché familiale.

 

 

 

 

Nous devons à Freud le concept d’inconscient et à Jung celui d’inconscient collectif.

 

D’autres psychanalystes, en s’appuyant sur leurs travaux, mettent au jour le champ des mémoires transgénérationnelles.

 

Dans les années 60 et 70, Jacob Levy Moreno, Françoise Dolto, Nicolas Abraham et Maria Torok, ou encore Yvan Boszormenyi-Nagy vont travailler autour de la transmission de conflits non résolus, de secrets, de non-dits, de répétitions, de morts prématurées ou choix de professions.

 

Chacun à sa manière théorise son expérience, permettant ainsi de mieux cerner les causes des symptômes et aider au soin de leurs patients.

 

Mais c’est la psychologue Anne Ancelin Schützenberger qui a permis à un large public de connaître cette discipline, par le biais de son ouvrage paru en 1993 Aïe mes aïeux !, bestseller régulièrement réédité depuis.

L’impensé généalogique ou l’histoire du fantôme familial

Deux psychanalystes Nicolas Abraham et Maria Torok, écrivent entre 1959 et 1975 des essais, publiés en 1978 sous le titre L’écorce et le noyau. Ils y posent les bases de l’existence d’une crypte dans le psychisme familial, où sont enterrés des évènements indicibles et les émotions douloureuses qui en résultent.

 

La crypte est le résultat d’un refoulement ou plutôt d’un déni. De cette crypte naissent un ou plusieurs fantômes aux générations suivantes, fantômes qui accompagnent les descendants.

 

Ils se révèlent à certains moments, et occasionnent des symptômes psychologiques et/ou physiologiques. Le secret, indicible pour son porteur, devient pour ses enfants innommable : nous en ignorons le contenu mais en pressentons l’existence et en portons le poids.

 

 

Conférence de Claude Nachin, Université de Picardie, 2016

 

Le concept de crypte et de fantôme se diffuse, théorisant donc ce que bon nombre de praticiens perçoivent au contact de leurs patients. Plusieurs ouvrages nous aident à comprendre ce mécanisme.

 

Didier Dumas, psychanalyste français, écrit en 1985 l’Ange et le fantôme, un ouvrage préfacé par Françoise Dolto, et dans lequel il décrit et analyse des cas de patients autistes, phobiques, etc., pour lesquels le fantôme serait à l’œuvre dans l’inconscient.

 

Plus récemment Bruno Clavier dans son ouvrage Les fantômes familiaux, nous aide à dresser une typologie des différents fantômes hantant les mémoires familiales, en présentant les problématiques de certains patients.

 

Une typologie qui se dessine également dans les ouvrages d’Anne Ancelin Schützenberger ou de Serge Tisseron : fantômes, secrets, c’est-à-dire tout ce qui a été enfoui car trop dur à penser, à assumer, à dire, à accepter, « et qui à défaut de mots s’exprime en maux » pour les générations qui suivent.

 

« Le fantôme semble poursuivre son œuvre en silence et en secret. Il se manifeste par des mots occultés, par un non-dit, par un silence, par des béances dans la réalité, des lacunes laissées en soi par les secrets d’un autre ». Anne Ancelin Schützenberger

 

Un secret de famille, c’est quoi ?

De manière générale, il n’y a pas de famille sans secret. Mais tous les secrets ne deviennent pas problématiques, et les évènements douloureux ou traumatisants, s’ils sont pensés, intégrés, dits par ceux qui les ont vécus, ne se transmettent pas aux générations futures.

 

De plus, « dans les secrets familiaux, c’est moins l’évènement inaugural qui importe que la façon dont il est vécu » (Serge Tisseron, Les secrets de famille, PUF, 2017).

 

La spécificité des secrets de famille est ainsi liée à trois notions : l’indicible et l’innommable pour les deux premières générations, puis l’impensé à la troisième.

 

A l’indicible, ressenti par la génération du secret, s’ajoute donc l’innommable pour la génération suivante : le secret suinte mais « ne peut faire l’objet d’aucune représentation verbale », il est juste pressenti. « Dans tous les cas, le résultat est qu’un enfant grandit avec l’impression qu’il est tenu à l’écart de quelque chose d’important et de pénible qui le concerne ».

 

Et cet enfant peut, par ricochet, connaître des troubles de l’apprentissage, des perturbations légères de la personnalité.

 

A la troisième génération, les effets du secret sont diffus, impensables. La psychogénéalogie fait l’hypothèse que l’enfant développerait les mêmes perturbations que la deuxième génération, mais aussi des pathologies bien plus graves (maladies physiques, dépressions, phobies…).

 

« Il faut trois générations pour qu’éclose dans une famille un enfant, garçon ou fille, qui se développe de façon à être diagnostiqué progressivement psychotique » Françoise Dolto

 

Sont répertoriées ci-après les grandes catégories de secrets potentiellement toxiques. Cette liste ne prétend pas à l’exhaustivité, elle présente simplement les thèmes récurrents auxquels sont liés les secrets de famille.

 

Des secrets liés à la mort : décès de personnes jeunes, suicides, décès violents. Pour les enfants décès précoces, fausses couches et avortements, infanticides ou néonaticides.

 

Des secrets liés au sexe : adultères, filles-mères, homosexualité.

 

Des secrets liés à la filiation : enfants qui ne sont pas issus du père « officiel », ou de leurs deux parents, abandons.

 

Des secrets liés aux violences sexuelles : viols, incestes. Ceux-ci génèrent parfois également des secrets de filiation si un enfant vient à naître de ces abus.

 

Des secrets liés à la santé : pathologies psychiatriques, maladies honteuses comme la syphilis, alcoolisme et toxicomanie.

 

Des secrets liés à l’argent : argent mal acquis : vol, cambriolage, captation d’héritage. Faillite, addiction au jeu ayant entrainé une ruine.

 

Des secrets liés au comportement : traitrise, meurtre, crime impuni, séjour en prison.

 

Des secrets liés aux conflits : traumatisme des guerres et des génocides, culpabilité du survivant, culpabilité du mauvais camp.

 

 

 

 

Ces faits sont toujours à resituer dans un contexte donné : les normes morales d’une époque, les ressources psychologiques et financières des uns et des autres.

 

A titre d’exemple, les pathologies psychiatriques ou certaines maladies, hier honteuses, sont aujourd’hui admises par une société qui encourage le soin.

 

Les infanticides, récurrents dans les archives judiciaires, sont le fait de femmes souvent sans ressources financières, plongées dans la solitude et la honte. Elles ne trouvent pas d’autre solution que de faire disparaître le nouveau-né ( Article de Guy de Maupassant, Gil Blas, 2 mars 1886, sur le cas de Rosalie Prudent).

 

L’idée n’est donc pas de juger et condamner nos aïeux, mais à la fois de comprendre ce qu’ils ont vécu et de quelle manière leur vécu a pu s’imprimer en nous.

Les ricochets du secret : honte et culpabilité

 

Un évènement traumatisant fait surgir des émotions puissantes et douloureuses, en particulier quand elles sont tues. Tristesse, colère, peur, culpabilité, honte, un panel d’émotions violentes profondément ressenties…

 

Mais des émotions se rattachent en particulier aux secrets de famille, pour ceux qui les génèrent, mais aussi pour leurs descendants : la honte et la culpabilité.

 

Dans ce que Serge Tisseron nomme « les ricochets du secret », il attribue à la honte une place à part. La honte a ceci de particulier qu’elle « écrase toutes [l]es émotions, elle est une tueuse d’émotions ».

 

Pour le sociologue Vincent de Gaulejac, « la honte engendre le silence, le repli sur soi jusqu’à l’inhibition. […] Lorsqu’on est habité par la honte, on se sent inutile, incompris dévalorisé et seul ».

 

 

Dans le secret de famille, honte et culpabilité sont parfois héritées des générations précédentes, mais aussi souvent générées par l’enfant lui-même qui, face au silence de ses parents, se sent responsable de leur attitude et développe ainsi ces émotions qui l’accompagneront longtemps sans qu’il puisse en comprendre l’origine…

Concepts et outils en psychogénéalogie

 

« La parole de l’Eternel me fut adressée en ces mots : pourquoi dites-vous ce proverbe en pays d’Israël : les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des enfants en ont été agacées ? » Ezechiel 18

 

Un mécanisme central dans les transmissions : les loyautés familiales

 

Un certain nombre de mécanismes sont à l’œuvre dans les transmissions familiales. Le travail d’Yvan Boszormenyi-Nagy apporte une aide précieuse à leur compréhension.

 

Spécialisé dans la thérapie familiale systémique, il nous permet de repérer l’importance au sein de la famille des notions de justice et d’équité : un système complexe de loyautés. Les loyautés familiales sont ainsi à penser à deux niveaux : au niveau individuel, psychologique mais aussi au niveau global du clan, du système familial.

 

S’établit au sein de la famille ce qu’Anne Ancelin Schützenberger nomme le grand livre des comptes, la somme des mérites et dettes du clan.

 

Si la balance n’est pas en équilibre, un certain nombre de faits peuvent en découler : injustice, vengeance, exclusion, revanche, parfois accident, répétitions, maladies. Et l’apurement des dettes se fait le plus souvent sur plusieurs générations.

 

Ces loyautés peuvent se retrouver à différents niveaux : social, économique, professionnel… Le choix du métier par exemple peut être la conséquence d’un acte d’un ancêtre, comme cet aïeul qui, faute de compétences médicales, n’a pu sauver un voisin.

 

Nous verrons dans ses descendants fleurir plusieurs générations de médecins : le clan répare ici la faute ou plutôt le défaut de compétences de l’aïeul.

 

 

Vincent de Gaulejac aborde également cette question dans son ouvrage La névrose de classe. Il y démontre à quel point il peut être difficile pour un enfant de dépasser le niveau d’études de son parent. Difficulté telle qu’elle peut avoir pour conséquence le sabordage par l’enfant d’un examen ou d’un diplôme.

 

 

Cependant, il demeure difficile de comprendre le grand livre des comptes familiaux, tant « rien n’est clair, chaque famille [ayant] sa manière à elle de définir la loyauté familiale et la justice. ».

 

 

Le syndrome anniversaire

 

illustration Sylvie Breysse, artiste peintre

 

 

C’est le travail de la psychiatre américaine Joséphine Hilgard qui met au jour le syndrome anniversaire.  Par une étude statistique construite à partir de cas de patients psychotiques, elle parvient à la conclusion suivante : il y a répétition significative et inconsciente intervenant autour de la date anniversaire de l’évènement auquel elle se rattache.

 

Dans ce cas précis, un âge auquel la pathologie psychiatrique de ses patients se déclenche, et qui rappelle l’âge qu’avait leur parent quand il est décédé ou a été interné.

 

Ou encore un trouble psychiatrique qui apparaît lorsque l’enfant du patient atteint l’âge que celui-ci avait quand le traumatisme a été vécu.

 

 

Ce type de répétition, de dates anniversaires liées à des traumatismes vécus dans l’arbre généalogique, s’observe régulièrement dans les clans familiaux.

 

Aussi un système de répétition dans une famille, corrélation de dates ou autres répétitions (voir plus haut les loyautés familiales), saura interpeller le psychologue travaillant en transgénérationnel.

 

Le cas de l’enfant de remplacement

 

 

 

Thème récurrent en psychogénéalogie, le statut d’enfant de remplacement est douloureux : pour l’enfant qui vit cette situation, mais aussi pour ses descendants.

 

L’excellent article de Kristina Schellinski dans les Cahiers jungiens de psychanalyse (n°141, 2015) permet de mesurer la profondeur du traumatisme pour l’enfant né dans une telle dynamique, celle de redonner de la joie à ses parents après le décès d’un enfant dont le deuil n’a souvent pas été fait.

 

Des souffrances en résultent : questionnement sur l’identité, culpabilité du survivant, chagrin.

 

S’il n’est plus coutume de nos jours de donner le même prénom à l’enfant né après le décès du précédent, le traumatisme associé reste malheureusement d’actualité.

 

Or la souffrance de l’enfant de remplacement peut se transmettre d’une génération à l’autre, occasionnant des symptômes variés : « un transfert de la représentation de soi, de la culpabilité du survivant […] », des schémas relationnels spécifiques, des attitudes de « surprotection, négligence, voire de mise en danger […] ou enfin des mécanismes de défense – déni, dissociation […] ».

 

 

Un outil au service de l’analyste : le génosociogramme

 

 

Exemple de génosociogramme simplifié (source Aïe mes aïeux !)

 

 

Base de travail de l’analyste, le génosociogramme ou génogramme, se présente sous une forme proche de celle de l’arbre généalogique. Mais il est fait de mémoire en plus des actes, et complété par des éléments de vie importants.

 

L’intérêt est aussi de mesurer la manière dont le patient présente ce travail, les affects derrière les faits. L’analyste cherchera un certain nombre d’informations, dont d’éventuelles répétitions, mais sera aussi attentif aux blancs ou aux défauts de mémoire, qui sont porteurs de sens.

 

Le génosociogramme est à relier au contexte historique de chaque génération, afin de mesurer notamment l’impact d’éventuels conflits.

 

  • un exemple d’utilisation du génogramme par des soignants, dans une démarche plus systémique que psychogénéalogique :
  •  

Pour aller sur loin sur le génosociogramme  :

 

 

 

Bien sûr, si le le travail en psychogénéalogie démarre le plus souvent avec la construction de ce génosociogramme, il s’accompagne d’un panel d’autres outils comme le psychodrame, initié par Jacob Lévy Moreno (thérapie utilisant la théâtralisation dramatique, au moyen de scénarios improvisés qui permettent la mise en scène des problématiques de la famille. Le psychodrame est fréquemment utilisé par les psychanalystes).

 

Soigner un enfant, soigner sa famille

La mécanique du secret de famille fait porter aux vivants des valises transgénérationnelles.

 

Dans ces porteurs de secrets, le cas des enfants est régulièrement abordé par les professionnels. Plusieurs ouvrages passionnants en témoignent. Ils attestent de manière unanime de la pertinence d’une démarche psychogénéalogique dans le soin : celle-ci, intégrant l’enfant dans sa lignée, permet souvent une libération des mémoires et des traumatismes.

 

L’enfant, dans son corps et son comportement, signale un désordre dans la famille. Il devient d’une certaine manière la clef, et ses symptômes les indices d’une enquête familiale menant l’analyste à la compréhension du vécu antérieur, celui de ses parents, ou plus haut dans l’arbre généalogique.

 

Certains enfants guérissent spontanément une fois la parole libérée, pour d’autres le chemin est plus long. La richesse du travail avec les enfants tient également à l’implication des parents : comprenant que leur silence peut être source de mal-être, ils réussissent plus facilement à évoquer leurs propres traumatismes ou ceux qu’ils connaissent dans leurs lignées.

 

                                                              

 

A partir du moment où les parents sont suffisamment aimants pour saisir que la souffrance, parfois intolérable, de leur enfant est engendrée par des non-dits qui l’empêchent de comprendre son histoire, la maladie de l’enfant se révèle être une chance car, grâce au travail qu’ils vont poursuivre, les parents découvrent une partie du passé de leur famille qui les mettait eux aussi en difficultés psychologiques même s’ils avaient appris à faire avec. Il s’agit presque, pour chacun des membres de la famille concernée, d’une seconde naissance […].» Willy Barral

 

Hergé ou l’exemple d’une filiation méconnue

Un certain nombre d’écrivains, poètes ou encore peintres, ont été les objets d’étude des psychogénéalogistes. L’œuvre du dessinateur belge Hergé a passionné le psychiatre Serge Tisseron.

 

Fan des albums de Tintin depuis l’enfance, et travaillant par ailleurs sur les secrets de famille, Serge Tisseron se décide à analyser l’œuvre d’Hergé. Il est en effet interpellé par certains personnages et certaines situations. Serge Tisseron met ainsi au jour un secret de filiation chez Hergé. Son premier ouvrage parait en 1985 (Tintin chez le psychanalyste, Serge Tisseron, Aubier, 1985).

Or deux biographies d’Hergé, respectivement parues en 1987 et 1988 (Avant Tintin, Hervé Springaël, Hergé, portrait biographique, Thierry Smolderen, Casterman, 1988 apportent une information qui valide l’hypothèse de l’auteur)

 

Le père d’Hergé, Alexis, et son jumeau Léon, sont nés de Marie Dewigne, domestique au château de Chaumont-Gistoux (propriété de la famille Errembault de Dudzeele). Il n’est pas fait mention du père sur les actes de naissance…

 

 

 

 

Ils sont reconnus une dizaine d’années plus tard par le nouveau mari de leur mère Philippe Rémi, mariage blanc orchestré par la comtesse de Dudzeele (cf. Serge Tisseron). Une comtesse qui par ailleurs a participé financièrement à l’éducation des jumeaux, et dont ceux-ci gardent un très bon souvenir…

 

Quant à l’identité réelle du grand-père d’Hergé, plusieurs pistes ont été évoquées : le fils de la comtesse pour laquelle Marie travaillait, Gaston Errembault de Dudzeele.

 

Cette piste donne du sens au comportement de la comtesse. Mais le Roi de Belgique Léopold II est également mentionné dans la légende familiale, piste que Serge Tisseron n’exclut pas non plus…

 

Qui que soit ce mystérieux grand-père, le mystère qui plane sur cette filiation est bien présent dans les albums de Tintin. Hergé a ainsi “utilisé son oeuvre pour exorciser les figures historiques du secret telles qu’il avait pu, enfant, les imaginer ; et également pour faire montre des interrogations qui avaient pu […] être les siennes”.

 

L’analyse des personnages est particulièrement révélatrice de ce questionnement. En voici quelques extraits :

 

  • La Castafiore, première génération et gardienne du secret, qui chante systématiquement l’air des Bijoux, extrait du “Faust” de Gounod. Un opéra dans lequel elle incarne Marguerite, une jeune femme amoureuse d’un homme de condition sociale supérieure à la sienne, et qui tombe enceinte de ses œuvres. Elle est toujours accompagnée par la fidèle Irma, anagramme de Marie, prénom de la grand-mère d’Hergé…

 

  • Les Dupont et Dupond, ces jumeaux toujours à contretemps, qui incarnent la deuxième génération du secret, celle qui sent sans savoir. Le comportement décalé des Dupont et Dupond pourrait être le signe d’une problématique d’identité. Par ailleurs, l’orthographe différente de leur nom ne traduirait-elle pas le fait que les Dupont-d ont deux pères ?

 

  • Le capitaine Haddock, troisième génération du secret. Passionné, colérique, le capitaine est pris dans un tourbillon d’émotions violentes…le Whisky est son échappatoire. Lointain descendant d’un homme illustre, le chevalier de Hadoque, le capitaine est de par cette filiation propriétaire du château de Moulinsart. Il part à la rencontre de son histoire familiale dès l’album du secret de la Licorne. Nous le trouverons plus fort, plus serein dans les albums suivants.
  •  
  • Cette fragilité, son alcoolisme, le désignent comme  cette génération pour laquelle le secret est devenu impensable. Secret qui, tel un fantôme, travaille dans l’ombre…

Pour aller plus loin dans cette lecture décalée et passionnante de l’œuvre d’Hergé :

 

 

               

 

En conclusion

Toutes les familles ont leurs secrets. Et même si tous les secrets ne font pas souffrir de la même manière, il en reste une trace dont les descendants n’ont pas forcément conscience.

 

Si l’impact des fantômes se dilue souvent après quatre générations, certains évènements marquent durablement les clans, et continuent de se faire sentir sept ou huit générations plus tard.

 

Parmi les ouvrages cités tout au long de cet article, un certain nombre rapporte des situations vécues par des patients. Notre lecture et notre compréhension s’en trouvent facilitées, et ces exemples nous permettent de mesurer à la fois la diversité des secrets et leurs conséquences.

 

 

En complément, voici des titres d’ouvrages se rattachant à ce sujet, non cités précédemment et tout aussi enrichissants… bonnes lectures !

 

 

 

 

 

 

 

 

  • François Vigouroux, Grand-père décédé – stop – viens en uniforme, PUF, 2001

 

 



22/02/2022
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