Situation du village de ERINGES au nord du département actuel de la Côte d’Or
A la fin du 17e siècle, c’est Louis XIV qui règne sur le royaume de France. Ce dernier est composé de 19 provinces, dont la Bourgogne, qui sont divisées, administrativement, en bailliages.
Le gouverneur du duché de Bourgogne est le prince de Condé.
Son gouvernement est composé de 23 bailliages.
Celui de l’Auxois ( Semur en Auxois ) se situe au nord de la province, entre le bailliage de la Montagne (Chatillon sur Seine ) et celui d’Avallon. Les principales villes sont Semur, Montbard, Flavigny et Noyers.
Sur le plan géographique, l’Auxois est une dépression d’origine tectonique située entre le massif du Morvan, à l’ouest, et la ’montagne’ Chatillonnaise, à l’est, premiers contreforts du plateau de Langres. C’est une région de plaines parsemées de buttes témoins et de larges vallées aux versants souvent adoucis que surmontent les tables horizontales, ou doucement inclinées, de plateaux de calcaire bajocien. Ces vallées sont celles du Serein et celle de l’Armençon et de ses affluents que sont la Brenne , l’Oze et l’Ozerain.
Eringes se trouve au nord-est du pays d’Auxois, à deux lieues (environ 11 km) de Montbard et à trois lieues et demie de Semur en Auxois (environ 18 km), à la limite du bailliage de la Montagne. Il se situe à l’extrémité d’un vallon relevant de l’arrière vallée de la Brenne. Il y court un petit ruisseau, le « ru d’Eringes » qui se jette dans la dite Brenne.
C’est un village entouré d’un mur d’enceinte, provenant de la transformation, au 16e siècle, d’une grange à dîme appartenant à l’abbaye de Fontenay. Son seigneur est l’abbé commendataire de l’abbaye. A la fin du 17e siècle il s’agit de l’abbé ANET COUSTIN DE MANASDAUT, 10e Abbé commendataire.
Organisation territoriale et sociale du Village de ERINGES
De 1683 à 1686, B B CANABELIN, conseiller maître de la cour des comptes de Dijon, est chargé d’organiser la visite des communautés de tout l’Auxois, afin de redéfinir l’assiette de l’impôt. Pour cela ses commissaires inspectaient successivement toutes les communautés et procédaient à de véritables enquêtes administratives. Le rapport sur Eringes va nous aider à avoir une idée assez précise de cette communauté.
Comme nous l’avons vu plus haut, ce village résulte de la transformation, au 16e siècle, d’une grange monacale de l’abbaye de Fontenay. Ce qui peut expliquer son mur d’enceinte en pierres, et aussi, la disposition relativement confuse des différents bâtiments. Les maisons, elles aussi en pierres, sont couvertes de laves et sont en assez bon état. La plupart sont entourées d’un espace plus ou moins grand qui comprend aisances, jardin et verger, le tout entouré d’une haie, voire d’un muret. C’est ce qu’on appelle, en Bourgogne, le « meix ». Bien que tiré au début du XIXe siècle, le plan cadastral Napoléonien, ci-dessus, peut nous aider à imaginer Eringes à la fin du XVIIe siècle.
L’église, d’un roman primitif, est l’ouvrage des moines de l’abbaye de Fontenay. C’était, primitivement, la chapelle grangiale, vouée à St Barthélémy. Elle est encore une succursale de l’église de Fresne, village voisin d’Eringes situé à une lieue, au nord ouest de ce dernier. Autres bâtiments importants, le four à pain et le relais de poste. Eringes étant sur le trajet Montbard-Chanceaux.
Son « finage » (territoire) est relativement petit, puisque composé seulement de 600 journaux de terre labourable (environ 120 ha) sur une demi-lieue (environ 2,5 km) de longueur. Il n’y a pas de forêts, ces dernières se situent sur les collines environnantes, à l’est, vers la montagne Châtillonnaise. Il n’y a pas de prés ni de communs, seuls quelques arpents de broussailles servent de pâture aux bêtes.
En ce qui concerne les habitants, on dénombre 50 « feux » (foyers), compris 6 ou 7 femmes veuves. 17 de ces feux sont des laboureurs, 4 ou 5 des petits artisans (charpentier, tissier, savetier), et les autres sont de simples journaliers. Chez les femmes veuves, deux d’entre elles sont laboureurs, les autres sont mendiantes (il faut comprendre : ne gagnent juste que de quoi subsister).
En plus de ces 50 « feux », il faut compter le maître de poste et le curé. Ces deux derniers figurant sur le rôle de taille, mais comme « privilégiés », car ils ne payent pas d’impôts.
Les laboureurs, nous l’avons vu, constituent un tiers des « feux », mais parmi eux, le commissaire du sieur CANABELIN distingue, à Eringes, 3 catégories :
- Le métayer à une ’charrue’, étant aussi propriétaire de quelques biens.
- Le métayer à ’demi-charrue’, tout petit propriétaire.
- Le métayer à ’demi-charrue’, qui ne possède rien et ne cultive que les « héritages d’autruy ».
Éclairons un peu ces catégories en définissant ce qu’est une « charrue ». Ce mot désigne l’outil, mais aussi une surface. C’est la superficie de terre labourée en un an par un homme à la charrue. Cette unité agraire varie avec les régions selon la nature des terres. En ce qui concerne Eringes, le commissaire écrit : « Les terres sont fort pierreuses et rudes au labeur. Il faut au moins 4 à 6 bestes pour labourer, chevaux, boeufs ou vaches. La charrue entière n’en pouvant cultiver qu’environ 18 à 20 journaux de chaque saison ». Le journal de terre étant la surface labourée en une journée. Ce qui fait qu’à Eringes, une charrue correspond à une exploitation ’environ 15 à 18 hectares. La demi-charrue, par conséquent, cultive à peu près 7 à 8 hectares.
Le commissaire décompte 5 laboureurs à une « charrue », dont un, le plus « côté » (qui paie le plus d’impôts), est fermier à demi-charrue de l’abbé commendataire de l’abbaye de Fontenay et propriétaire de ses bâtiments et de l’autre demi-charrue. Parmi les 12 laboureurs à demi-charrue, 3 d’entre eux ont déclaré être propriétaires de près de la valeur de ce qu’ils cultivent. Les autres sont simples métayers.
Le commissaire ajoute : « Il y a dans ladite communauté environ 20 Chevaux, 60 boeufs et vaches, 200 brebis, tenus par les dits « habitans », la plus grande partie à titre de cheptel, et plusieurs chèvres ». Et en évoquant le niveau de vie des habitants, en parlant du fermier le plus « côté », il dit : « ny ayant que le dit fermier qui nous aye parru commode et assez bien meublé, tous les autres l’étant méchamment ».
Événements politiques de 1688 à 1713
En 1688, commence, pour la France, la guerre contre la Ligue d’Augsbourg. Cette dernière comprend l’Empire Germanique, l’Espagne, la Suède, plusieurs princes Allemands et finalement l’Angleterre. Les divers conflits qui se sont déroulés tout le long du 17e siècle ont affaibli l’armée régulière du royaume. Aussi, Louis XIV décide de créer, dans certaines généralités, une milice afin de suppléer cette dernière. Ainsi, dans le duché de Bourgogne, chaque communauté doit fournir au moins un volontaire et l’équiper. Ce qui rajoute aux charges de la communauté.
Depuis le début de la guerre contre la ligue d’Augsbourg, un réel malaise règne sur les campagnes de Bourgogne du nord. Ces dernières sont sur le chemin de la Comté (qui sera plus tard, la Franche-Comté), l’Alsace et l’Italie. Elles sont constamment traversées par les troupes du roi.
Ces dernières, lors de leur passage, ont tendance à vivre sur le dos des paysans. Leurs capitaines commettent, parfois, des exactions. Les pillages et les maraudes ne sont pas rares, même très à l’écart des axes principaux de passage. A Eringes, le mur d’enceinte, qui entoure le village, aide à protéger les habitants de tels débordements. En outre, les prix augmentent ainsi que la taille. Les conditions de vie deviennent de plus en plus précaires.
En 1691, le malaise se renforce. Le prince de Condé, qui se rend à Dijon par la route du Châtillonnais (qui passe à quelques lieues de Eringes), dit avoir rencontré dans cette région plus de misère qu’il ne croyait. A la même époque, le directeur des fermes, en visitant l’Auxois, parle de pays « bien gueux » où la misère est grande.
1693 est une année noire pour la Bourgogne, notamment pour la région du nord. Le déficit des récoltes est estimé à 1/3.L’absence de stock rend la situation très difficile. Les munitionnaires qui nourrissent l’armée, achètent le blé à des prix dérisoires. De plus, c’est la crise monétaire. Les espèces sont relevées. Le Louis passe de 11 livres 10 sols à 14 livres. En décembre, c’est la famine. Dans certaines paroisses les paysans ne vivent que de racines et d’herbages.
Face aux grosses difficultés économiques dues à la guerre, en 1695, Louis XIV met en place un nouvel impôt, la capitation. C’est un impôt sur les ’feux’, comme la taille, et rajouté à cette dernière. Tous sont touchés, même les privilégiés, sauf les pauvres qui paient moins de 30 sols de Taille.
Le 30 octobre 1697, le congrès de Ryswick met fin à la guerre contre la ligue d’Augsbourg. Ce qui entraîne, en 1698 la suppression de la capitation.
L’année 1702 est l’année du début de la guerre de succession d’Espagne (gravure ci-dessus). La France, alliée à la Bavière, Cologne et le Portugal entre en guerre contre l’Angleterre, l’empire Germanique et les provinces unies. Ce conflit durera jusqu’en 1713. Ce retour de la guerre voit aussi le retour de la Capitation.
A partir de 1702 s’annonce une période difficile, pour les paysans en particulier. Ces difficultés s’accentuent en 1706 où le commerce est fortement atteint par la crise de confiance qui règne dans le pays, à la suite de la crise monétaire et des revers de l’armée. Le malaise des campagnes, en 1708, est grand. Les paysans sont sans réserves de récolte et sans argent.
François GAUTHEROT, laboureur à ERINGES
Nous ne possédons pas d’actes concernant directement François GAUTHEROT. Seuls les actes de naissance de certains de ses enfants, le contrat de mariage d’un de ses fils, Claude, et les rôles de Taille de 1690 à 1715, nous permettent de le situer.
François épouse, vers 1665, Antoinette COMPAROT. Ils ont au moins 4 enfants, Claude, Anne, François et Charlotte. Le rôle de la taille de 1692 nous indique qu’il est métayer du sieur JOLLY, secrétaire du roi au parlement de Dijon.
Ce ’monsieur’ possède trois métairies sur le « finage » de Eringes (une, à une charrue et deux à demi-charrues). Il n’est pas rare de voir de riches notables des villes posséder de nombreuses propriétés, petites ou grandes, dispersées autour des dites villes, souvent dans un rayon important. Eringes est tout de même à 65 km de Dijon. Ce sieur JOLLY a probablement d’autres métairies dispersées dans la contrée.
Comme cela se fait dans les régions assez pauvres de la Bourgogne du nord, François est probablement métayer à « demi-fruit ». A savoir, il rend au propriétaire la moitié des « fruits », c’est à dire, la moitié de sa production.
Il existe une grande variété de ce type de tenure. Le possesseur peut aussi partager les frais, c’est à dire, ceux de la récolte et les redevances seigneuriales qui peuvent frapper la terre. Nous ne connaissons pas les conditions exactes auxquelles est soumis François, car, généralement, ce mode d’exploitation ne donne lieu à aucun acte écrit. Il fait l’objet de conventions tacites.
D’après sa ’côte’ dans les rôles de Taille de 1687 à 1712, on peut le classer dans les métayers à « demi-charrue ». Car les « cotes » sont calculées en fonction des revenus de chacun.
Nous savons aussi par le contrat de mariage de son fils Claude qu’il est propriétaire d’au moins une pièce de terre de deux « journaux » (environ 40 ares) située dans le « finage » de Eringes. En effet, il s’y engage de lui donner celle-ci, s’il venait à mourir.
Nous pouvons maintenant, assurément, compter François parmi les trois laboureurs, métayers à « demi-charrue » et petits propriétaires.
D’autre part, les rôles de Taille de 1690, 1691 et 1692 nous apprennent qu’il était aussi, ces années là, prud’homme de la communauté de Eringes.
Eringes, comme chacun des villages haut-bourguignons, forme une communauté villageoise qui s’administre elle même, sous le contrôle seigneurial. Les habitants se réunissent régulièrement sous forme d’assemblée. Souvent dans l’église ou dans le cimetière de cette dernière. Cette assemblée désigne tous les trois ans, parmi les siens, ses prud’hommes, qui sont au nombre de deux ou trois. Ces derniers sont chargés de répartir la Taille seigneuriale attribuée à la communauté.
Chaque foyer a donc sa « côte » (côte-part) selon ses revenus. Ils participent aussi à la reconnaissance du « mésus » (mauvais usage de la coutume), font, après décès, les estimations des biens et assurent la police du village et du ’finage’, sous l’autorité du seigneur, ici l’abbé commendataire de l’abbaye de Fontenay, et de la communauté.
François fut donc désigné prud’homme, de 1690 à 1692. Cette désignation ne tient aucun compte de la raison sociale. Le prud’homme peut être aussi bien fermier que manouvrier. Et ce ne sont jamais les mêmes, de façon à éviter les injustices, surtout pour définir les ’côtes’ de la Taille.
Essayons de cerner au mieux son mode de vie. Commençons par l’habitat. Il semble d’après le commissaire de CANABELIN, que seul le fermier « à une charrue » possède son habitation et ses dépendances. François vit donc, très probablement, dans une maison appartenant à son propriétaire, le sieur JOLLY.
Comme nous l’avons vu plus haut, c’est, probablement un bâtiment en pierre couvert d’un toit en laves. C’est une maison à logis-grange-étable, comme on le voit souvent dans ce genre de village. Mais parfois, le logis peut être séparé de la grange-étable. La partie logis comporte une cheminée. L’aménagement de cette pièce de vie semble succinct. Le commissaire ne dit-il pas, qu’à part le fermier, les habitants sont « méchamment » meublés.
En effet, chez les laboureurs de Bourgogne du nord, à cette époque, le mobilier est souvent très sommaire. Il se limite à un coffre à linge, une table, deux bancs et des paillasses-lits que l’on entasse, la journée, dans un coin de la pièce. C’est l’âtre, l’endroit le plus important, avec sa crémaillère, ses chaudrons, poêles... Là où la mère et les filles, s’il y en a, font la cuisine et où, le soir, on se réunit pour parler de choses et d’autres.
Voyons, maintenant, son mode de vie, proprement dit. Comme laboureur « à demi-charrue », il ne doit pas avoir un gros attelage. Une simple « araire » (charrue rudimentaire) tirée par deux bœufs ou deux chevaux, afin de pouvoir semer ses 8 ou 9 « journaux » de terre, en blé et avoine. Ces deux cultures semblent être sa seule production. Les moissons se font à la faucille. Après avoir ’enliassé’ les gerbes, ces dernières sont engrangées puis battues au fléau. Le grain est alors récupéré dans des sacs de grosse toile. François possède aussi, probablement, quelques vaches et chèvres afin de produire lait, beurre et fromages.
En conclusion, François, petit métayer et petit propriétaire, comme beaucoup de laboureurs du nord de la Bourgogne de cette époque, arrive juste à subvenir aux besoins de sa famille. Revenus disproportionnés par rapport au dur labeur nécessaire pour cultiver une terre caillouteuse et ingrate.
Un paysan écrasé par l’impôt
Voyons, maintenant, ses charges. La principale est la Taille seigneuriale. Le rôle de 1690 nous montre sa côte de cette année là ; 7 livres, 7 sols, 6 deniers (photographie ci-dessous).
Nous savons, par le rapport du commissaire du sieur CANABELIN, qu’à part la taille seigneuriale , il doit aussi s’assujettir de la dîme, du « four banal » et du « cens ».
La dîme est l’impôt levé par l’église. Dans le cas de Eringes, c’est encore l’abbaye de Fontenay qui en est bénéficiaire, elle en redonne une petite partie au curé de la paroisse, c’est ce qu’on appelle la « portion congrue ». Le laboureur, à la fin des moissons doit donner le dixième de sa récolte totale. C’est la « dixième gerbe ».
A cette époque, à Eringes, les habitants devaient cuire leur pain dans le « four banal », situé dans le village, un peu à l’écart des autres habitations, à cause du risque d’incendie. Ce four appartient au seigneur, c’est à dire à l’abbé commendataire de Fontenay. Ce dernier, au nom du droit de ban (droit seigneurial), perçoit une redevance équivalant à la vingtième partie du pain cuit.
Le cens (ou la cense) est la redevance foncière perçue, là aussi, par le seigneur. A Eringes, cette taxe ne semble pas, à en croire le commissaire, être très importante : « Les héritages sont chargés de quelques petites censes ». François la paye, puisqu’il est petit propriétaire.
Si l’on compte ces impôts directs, l’indirect, comme la gabelle, qui taxe le sel, et le revenu qu’il doit au sieur JOLLY, la part qui lui reste pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille ne semble pas énorme.
En 1695, à la création de la capitation, François voit son impôt passer de 6 livres 8 sols à 10 livres. A la suppression de cet impôt, sa côte descend à 8 livres 10 sols, pour remonter, en 1703, au retour de cette même capitation, à 11 livres 2 sols (document ci-dessus).
Épidémies, disettes
En 1674, la mortalité à Eringes a triplé.Sur un acte de sépulture, le curé parle bien de maladie. Il s’agit probablement de la dysenterie, car les 2/3 des décédés sont des jeunes enfants. Ces derniers étant plus sensibles à cette maladie. Ce genre d’entérite est très probablement d’origine bacillaire, car l’hygiène, à cette époque, est exécrable.
En 1694, la famine sévit durant une grande partie de l’année. la mortalité triple par rapport aux années précédentes. Le 2 mai 1701 voit la naissance d’une petite fille de François et Antoinette. Malheureusement, le bébé ne survivra pas longtemps, car il décédera le 23 décembre de la même année.
Cette année 1701, la mortalité à Eringes a quadruplé par rapport aux années précédentes. 44% des décédés sont des enfants. Cela nous laisse supposer une infestation du village par une épidémie de dysenterie. La petite Antoinette a probablement été victime de déshydratation. Ces épidémies de dysenterie bacillaire sont, à l’époque, très ravageuses.
Elles sont dues, en grande partie, à l’addition de la chaleur et du manque d’hygiène (contamination des eaux de boisson par les eaux usées et les déjections).
Solidarité villageoise
A Eringes, les habitants réagissent aux fortes difficultés économiques en renforçant leur esprit de communauté. Cet esprit étant une particularité importante des villages hauts bourguignons.
Ainsi, à partir de 1702, on voit apparaître une sensible augmentation des associations fiscales. Ces dernières existaient déjà, mais représentaient un nombre infime des « foyers » fiscaux. Il s’agissait d’un gendre qui s’associait avec sa belle mère, ou d’une veuve avec son beau frère. Mais cela restait rare.
En 1702, les associations fiscales représentent 15% des ’foyers’ fiscaux pour atteindre, en 1708, les 30%. Ce sont essentiellement les manouvriers à faible revenu qui ont recours à cette formule, afin d’avoir des revenus qui leur permettent de subsister, car leur côte fiscale, ainsi, reste encore modeste.
De fait, en 1711, François s’associe avec sa fille Anne qui vient de perdre son mari, Chrétien SIROT.
Le « grand hiver », petit âge glaciaire de la fin du règne de Louis XIV
L’ année 1709 est celle du « grand hiver ». C’est ainsi que l’on dénomma l’hiver de cette année là. Ce fut terrible, plusieurs vagues de grand froid déferlèrent sur toute la France du 6 janvier à mi-avril (de -25° à -10°). la plupart des cours d’eau gelèrent, ainsi que la végétation qui vit périr des arbres centenaires.
La faune, aussi, subit de gros dégâts, oiseaux et gibier succombèrent en grande quantité. Même les animaux domestiques mouraient de froid dans les étables. La population, surtout dans les campagnes, elle aussi ne fut pas épargnée. Les historiens estiment à 600.000 morts le bilan de ce tragique hiver. Jusqu’aux années 70, tous les livres d’histoire de l’école primaire consacrèrent un chapitre sur cette tragédie de 1709.
A Eringes aussi, l’hiver a été rude. Mais les habitants semblent l’avoir supporté. En effet les registres paroissiaux de 1709 et des deux années qui suivirent ne montrent pas un taux de mortalité anormal. Pourtant, la Bourgogne du nord n’a pas été épargnée, dés le 6 janvier la température descendit aux alentours des -20°, accompagnée d’un vent glacial qui souffla durant 3 semaines.
Après une accalmie de quelques jours, le froid repris pendant tout le début de février. En mars, il y eut encore des froids très durs. Pour finir, avril vit une neige tardive accompagnée de verglas.
L’hiver fut, là aussi, très froid et très long. Les habitants d’Eringes en ont probablement beaucoup souffert, mais ont pu, en très grande majorité, y survivre. Ce qui ne fut pas le cas de nombreux autres villages, notamment dans la région d’Autun, qui furent presque totalement décimés par le grand froid.
La communauté d’Eringes possédait les bois de la Fortelle, situés dans la forêt de l’abbaye de Fontenay, cédés au 16e siècle, par cette dernière. C’est probablement grâce à cela que les habitants ont pu se chauffer correctement et mieux résister au grand froid. Dans les autres seigneuries, ne l’oublions pas, la forêt appartenait au seigneur et ce dernier monnayait le ramassage du bois.
En définitive, les GAUTHEROT, en général, semblent avoir franchi ce très rude hiver sans avoir à déplorer de pertes dans la famille. Mais ce ne fut pas le cas lors des années suivantes. En 1710 les récoltes furent mauvaises ce qui provoqua une forte disette (famine) qui toucha les habitants et leur bétail.
En effet la pénurie de fourrage provoqua une épizootie (maladie frappant, dans une région, un groupe d’espèce animale dans son ensemble) qui décima le bétail et priva les paysans de leur outil de travail et accéléra la baisse du rendement et accentua la disette.
A partir de 1710, à Eringes, les décès augmentèrent progressivement pour atteindre leur point culminant en 1712 ( trois fois plus qu’une année normale). En 1711, ce sont les deux gendres de François, qui disparaissent, des hommes à la fleur de l’âge. En 1712, c’est lui, le patriarche, qui décède. Il avait peut-être plus de 70 ans ce qui représente un âge respectable à cette époque.
Les temps restent durs jusqu’en 1715. Après de mauvaises récoltes, la famine sévit toujours dans la région. A Eringes, le taux de mortalité reste important, tout en étant deux fois moins élevé qu’en 1712. Souvent, des groupes de mendiants dépenaillés traversaient le village en quête de nourriture.
En janvier 1713, le curé de Fraisne, qui officiait à Eringes, enterra un jeune garçon, d’une douzaine d’années, trouvé mort, probablement de faim, sur le grand chemin.
Le 1er septembre 1715 voit le décès de Louis XIV, après 72 ans de règne. Le 2 septembre, c’est son neveu, Philippe d’Orléans, qui prend la régence et s’attribue tous les pouvoirs. Ce changement ne contribuera pas à améliorer les conditions du petit peuple. Bien au contraire !
Sources :
Documents d’archives (AD de Côte d’Or) :
- Procès verbal, par B.B. CANABELIN, de visites de feux (1683-1686), C 4765.
- Rôles de Taille et des vingtièmes de Eringes (1687-1712,), C 7284.
- Registres paroissiaux de Eringes (1670-1712), 5MI 21R23.
Documents bibliographiques :
- Description générale et particulière du duché de Bourgogne.C COURTEPEE, 1775.
- La vie quotidienne des paysans du XVIIe siècle. Pierre GOUBERT, 1987.
- Les paysans de la Bourgogne du nord au dernier siècle de l’ancien régime. P de SAINT JACOB, 1995.
- Monographie de l’abbaye de Fontenay. J B CORBOLIN, 1882.
Iconographie :
- Plan cadastral de Eringes (XIXe siècle). AD de Côte d’Or. 3 P Plan 256/6.
- Église d’Eringes.(Photographie personnelle).
- Rôle de Taille et des vingtièmes de Eringes (1690). C 7284.
- Maison Bourgogne du nord, XVIIIe siècle.(Photographie personnelle).
- Moissons à la faucille. Museepaysderetz.com.
Remerciements :
Merci à Alix NOGA (Francegenweb21) pour son aide dans les recherches aux archives départementales de la Côte d’Or.