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LA MAISON BRUNET - LYON CROIX-ROUSSE

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Rouville, dans les pentes de la Croix-Rousse, se dresse l’imposante Maison Brunet, « aux 365 fenêtres ». Ce mystérieux bâtiment a traversé deux siècles et il a hébergé les révoltes des ouvriers de la soie, les Canuts.

L’immeuble, imposant, surplombe la place Rouville située dans les pentes. Avec ses larges fenêtres régulières et sa façade rosée, il exprime, en mastodonte, toute la typicité de l’architecture locale.

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Au bar du Comptoir du Sud – Crédit Eva Thiébaud

 

Voilà le « Comptoir du Sud », qui occupe depuis 20 ans un des angles de la maison Brunet, qu’on connaît souvent sous l’appellation « Maison aux 365 fenêtres ». Ce bistrot est typique de la Croix-Rousse ! »

 

La maison Brunet

La ruine d’un soyeux

Le bâtiment porte le nom de celui qui le fit construire, Claude Brunet. Le Drômois s’enrichit rapidement à Lyon dans le commerce de la soie. Habitant côte des Carmélites, il disposait par ailleurs de deux immeubles rue Pierre Blanc et d’un appartement place des Capucins.

 

 

Dans la hiérarchie de « La Fabrique », la grande usine textile à ciel ouvert que sont la Croix-Rousse et ses pentes au XIXème siècle, il occupait la position de marchand fabricant. Lui-même ne fabriquait rien, mais il fournissait les commandes et les matériaux aux ouvriers, les Canuts, qui tissaient les précieuses soies. Pour des tarifs très bas. Certains marchands fabricants louaient par ailleurs des appartements, resserrant ainsi les liens, doublement intéressés, avec les ouvriers.

 

 

Claude Brunet démarra la construction du bâtiment qui porte son nom en 1825. Il ne profita pas de son investissement puisque la maison fut saisie et mise aux enchères début 1831. Brunet semble s’être ruiné dans cette dispendieuse construction. En effet, les Canuts préféraient souvent habiter le plateau de la Croix-Rousse, à l’époque séparé de la ville de Lyon, car ils y payaient beaucoup moins d’impôts.

 

 

Les ouvriers travaillaient et vivaient dans leurs appartements, le métier à tisser près de la fenêtre pour profiter de la lumière naturelle. Josette Barre, dans son incontournable ouvrage « La colline de la Croix-Rousse – Histoire et géographie urbaines » décrit ces logements :

« L’appartement classique compte une ou deux pièces séparées par une mince cloison ou galandage. Chaque pièce dispose de deux ouvertures ou plus, et contient en moyenne, autant de métiers que de fenêtres. »

 

 

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Un Canut à sa fenêtre – Carte postale des archives de Lyon en ligne http://www.archives-lyon.fr – Environ 1910

 

 

Aujourd’hui, les propriétaires ont rassemblé ces petits appartements pour en créer de plus spacieux, et les métiers à tisser sont remplacés par des canapés et des salles à manger, avec des vues imprenables sur la ville.

 

 

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Vue du sixième étage de la maison Brunet 

 

 

 

Les chanceux qui les habitent viennent parfois rejoindre ouvriers, artistes ou riverains pour tailler le bout de gras au « Comptoir du sud ». Et s’il est question de l’histoire de la Maison, chacun y va de son anecdote.

Franck Bonnefoy, peintre lyonnais de 49 ans –qui a exposé justement sur le thème « Métropole et Patrimoine » à l’Enssib- commente :

 

« Les larges escaliers, les doubles entrées, avec les deux traboules qui traversent le bâtiment de part en part, tout cela est fait pour faciliter le transport et le chargement des rouleaux de tissus. »

 

 

Jean-Louis Ménard habite depuis 30 ans dans la Maison, et « ne peut plus en partir ». Avec Alain, le barman, et quelques autres habitués, ils retracent, entre deux gorgées, les événements qui se sont déroulés pendant les révoltes canuses :

 

« En avril 1834, pendant la révolte, la Maison Brunet a failli être détruite par les canons ! »

La forteresse du peuple

Pourquoi en était-on arrivé là ? Comment la maison a- t-elle été sauvée ?

 

Malgré leur importance dans la vie économique française -la soie représente plus du tiers des exportations françaises de produits manufacturés-, les conditions de vie des Canuts au XIXème siècle sont rudes.

 

Peut-être vous rappelez-vous, parmi vos souvenirs d’écoliers, du roman « Claudine de Lyon » de Marie-Christine Helgerson ? Le livre raconte l’histoire d’une jeune Canuse tuberculeuse de dix ans, acculée au métier à tisser dix heures par jour. En 1831, pressés par des loyers galopants, travaillant leur quinze heures journalières et fatigués par une tâche pénible, les Canuts s’organisent pour réclamer aux marchands fabricants un tarif minimum à la pièce produite.

 

 

C’est pour faire le respecter qu’ils se révoltent en novembre. D’usine-dortoir, la maison Brunet se transforme alors en forteresse ouvrière. Ainsi la dépeint Jean-François René Mazon en 1831, dans son ouvrage « Événements de Lyon ou les trois journées de novembre 1831 » :

 

« Les ouvriers venaient de s’emparer de la vaste maison Brunet qui domine le quartier Saint Vincent. De cette position avantageuse ils ont pendant quelques temps fait un feu très vif sur la troupe, qui s’était retranchée dans la rue de l’Annonciade. »

 

Si le succès a d’abord semblé couronner cette révolte, avec la prise de l’Hôtel de Ville et des engagements tarifaires de la part des fabricants, ceux-ci ne furent finalement pas respectés. Un coup d’épée dans l’eau.

La « sanglante semaine » à la Maison Brunet

Malgré cette défaite, les idées progressistes se propagèrent dans la ville : le fouriérisme et ses sociétés communautaires, le saint-simonisme et ses élites dirigeantes pour le bien commun ou le mutuellisme et ses outils de mise en commun. Des idées qui s’accordent bien mal avec la loi de 1834 limitant le droit d’association.

En avril, une nouvelle révolte éclate : « la sanglante semaine ». Président de la République des Canuts, et des amis de Lyon et de Guignol -associations de défense du patrimoine et des traditions-, Gérard Truchet a donné en 2013 une conférence intitulée « La Maison aux 365 fenêtres ». Celle-ci s’est déroulée au Musée Gadagne à l’occasion de la manifestation « Novembre des Canuts ». Gérard Truchet raconte comment la maison a failli être détruite pendant la révolte de 1834 :

 

« Trois années plus tard, les ouvriers bernés se lancent une nouvelle fois dans la lutte acharnée. Mais cette fois-ci les autorités militaires redoublent de vigilance et encerclent très rapidement la maison Brunet.

 

Ils prennent notamment position sur l’esplanade des Chartreux où ils surplombent l’immeuble récalcitrant. Mais les fenêtres restent closes, aucun fusil ne montre le bout de son canon.

 

Tout d’un coup, au cours de la journée du 12 avril, un lieutenant est tué d’une balle en pleine tête. Aussitôt les soupçons s’orientent sur les locataires et il est décidé de brûler la maison Brunet et les maisons environnantes. »

 

 

Un curé courageux et des blanchisseuses ivres

Si la maison est toujours debout aujourd’hui, il en faut remercier la Vierge… et un curé courageux. Gérard Truchet continue :

 

« Les soldats reçoivent l’ordre de diriger les pièces de canon vers l’immeuble, les locataires sont terrorisés. Aux Chartreux, le curé de Saint Bruno les Chartreux intervient auprès du commandant et parlemente.

Pendant ce temps, les femmes se regroupent et remettent leur destin entre les mains de la Vierge Marie.

 

Après avoir longtemps négocié, le dénouement est heureux puisque le bon curé de Saint Bruno obtient gain de cause. Le vœu des locataires est exaucé, en remerciement un ex-voto -offrande faite en remerciement d’une grâce obtenue- est peint. En procession, il est porté jusqu’à la chapelle Notre Dame de Fourvière. »

 

 

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Ex-voto de remerciement des locataires de la Maison Brunet

 

 

Au « Comptoir du sud », Bruno, le patron sort de cuisine pour papoter un peu avec ses clients. S’il n’a certes pas connu les Canuts, il sait néanmoins qu’une cinquantaine d’années en arrière, un charbonnier occupait l’emplacement de son bistrot. Se trouvait aussi là un porte-pot, un comptoir où l’on buvait du vin. Paulette a emménagé dans l’immeuble en 1949. Elle se souvient :

 

« Dans les années 60, les blanchisseuses des lavoirs du dessus venaient y boire des rhum limonades. A midi, elles étaient saoules. J’étais choquée ! »

 

 

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Le lavoir public est aujourd’hui un lieu de spectacles – Crédit Eva Thiébaud

 

Les dernières brises de l’esprit canut

A cette époque, boulangerie, boucherie, coiffeurs et commerces de proximité animent la rue. Aujourd’hui, on n’y trouve plus que des voitures garées au millimètre devant des devantures mortes, et un orthopédiste.

Que reste-t-il ici de l’esprit rebelle, social et mutuelliste des Canuts ?


Sans doute ce bistrot de quartier où tous et toutes se connaissent. Assise à la terrasse devant un café, Christine Ramel, habitante de la maison depuis 30 ans, voit encore souffler des brises de cet esprit de solidarité :

« Dans l’immeuble, on essaie de trouver des occasions de se réunir. Dans notre cage d’escalier, on a fait un nettoyage collectif des communs au lieu de faire appel à une société. Les deux cages se réunissent pour réaliser le ravalement. »

 

 

Autre projet collectif, pour les journées du Patrimoine en 1999, les habitants ont décidé de mettre leur maison à l’honneur, à travers une exposition ouverte au public, accrochée à la fois dans les halls qui « traboulent » et dans les escaliers monumentaux.

 

A cette occasion, Henriette Ponchon de Saint André, photographe et habitante, a exposé des panneaux de photographies des Canuts réalisés au cours d’une de ses formations à la photographie en 1978.

 

Elle a également ouvert les portes de son atelier. L’artiste qui présentait en 1982 à l’auditorium « Canuts d’aujourd’hui » -un projet poétique sur les derniers Canuts- continue, à 85 ans, à photographier et à transmettre son savoir-faire à travers une association proposant des ateliers de photographie argentique, l’Atelier d’images.

 

 

La Maison Brunet « s’inscrit dans une cosmologie »

Ainsi continue à vivre la mystérieuse maison Brunet, avec ses 4 portes d’allées, ses 6 étages plus un entresol, ses 52 cheminées correspondant aux 52 logements initiaux, et… ses 365 fenêtres (378 selon qu’elles soient murées ou non).

 

Et si certains pensent que seul le hasard a conduit à la construction d’autant de fenêtres que de jours de l’année, d’autant de cheminées que de semaines annuelles, d’autant d’étages que de jours de la semaine, et d’autant de portes que de saisons, ce n’est pas le cas de Mme Ponchon de Saint André :

 

« L’orientation et la construction de la maison se trouve en relation avec le temps et la nature. Elle s’inscrit dans une cosmologie. Et puis, il y a une force dans les murs, celle des Canuts. On s’y trouve bien, c’est une maison pleine de bonnes énergies. »

 

Cette « Maison du temps » porte en tout cas les reflets de toutes les époques qu’elle a traversées.

 

Source : Le net



23/04/2018
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