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LIAISONS DANGEREUSES DE SARKOZY AVEC LE QATAR

Un rapport de la police anticorruption montre que Nicolas Sarkozy aurait fait financer a posteriori par le Qatar, en 2011, des prestations de communication réalisées par le publicitaire François de La Brosse pour sa campagne électorale de 2007, puis pour l’Élysée. Aucune d’entre elles n’avait été facturée.

 

Fabrice Arfi et Yann Philippin

27 septembre 2022 à 19h54

 

 

 

Une nouvelle affaire judiciaire pourrait menacer Nicolas Sarkozy. Déjà condamné à deux reprises en première instance dans les affaires Bismuth et Bygmalion et mis en examen dans l’affaire des financements libyens, l’ancien chef de l’État est désormais dans le viseur de la justice pour ses liens financiers avec le Qatar. C’est la conclusion d’un rapport de police explosif, auquel Mediapart a eu accès.

 

 

Ce rapport, établi le 21 janvier 2020 par l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) de la police judiciaire, pointe des faits susceptibles de « revêtir une qualification pénale », en particulier un possible financement illégal de la campagne présidentielle 2007 du candidat Sarkozy. Lequel est soupçonné d’avoir fait payer par le Qatar, quatre ans après son élection, des prestations de communication qu’il n’avait pas déclarées dans son compte de campagne.

 

 

De gauche à droite : Hamad ben Jassem al-Thani, Nicolas Sarkozy, François de La Brosse et Claude Guéant. © Photo illustration Sébastien Calvet / Mediapart avec AFP

 

 

Ces faits ont été découverts dans le cadre de l’information judiciaire pour « corruption » sur l’attribution du Mondial 2022 de football au Qatar, menée par le juge d’instruction Marc Sommerer.

 

 

L’enquête porte en particulier sur le fameux déjeuner de l’Élysée du 27 novembre 2010, organisé juste avant le vote de la Fédération internationale de football (Fifa) qui a désigné l’émirat comme pays hôte.

 

 

Les agapes avaient réuni le président Sarkozy, son bras droit à l’Élysée Claude Guéant, le prince héritier (et actuel émir) du Qatar Tamim ben Hamad al-Thani, le premier ministre de l’émirat Hamad ben Jassem al-Thani, et le vice-président de la Fifa Michel Platini.

 

Nicolas Sarkozy est soupçonné d’avoir convaincu à cette occasion Michel Platini de voter pour le Qatar, en échange de plusieurs contreparties accordées par l’émirat, dont le rachat du PSG

 

 

Les policiers de l’Office anticorruption ont donc fouillé dans les archives de la présidence de la République. C’est ainsi qu’ils ont découvert que sept mois après le déjeuner de l’Élysée, Nicolas Sarkozy aurait demandé, par l’entremise de son ministre de l’intérieur Claude Guéant, un service au premier ministre Hamad ben Jassem al-Thani : accorder un contrat de 2 millions d’euros à François de La Brosse, ancien conseiller en communication du candidat puis du président Sarkozy. 

 

 

Les documents saisis par les enquêteurs montrent que ce contrat qatari devait compenser des prestations réalisées gratuitement par François de La Brosse (270 000 euros pour la campagne de 2007 puis 2,42 millions pour l’Élysée), qui n’avaient été ni payées ni déclarées à l’époque. Le communicant a reçu, à partir de septembre 2011, au moins 600 000 euros du Qatar sur les 2 millions prévus.

 

Des mails de l’Élysée au cœur du dossier

Alors que ce financement pourrait être assimilé à un renvoi d’ascenseur de l’émirat, moins d’un an après l’aide précieuse que lui a apportée Nicolas Sarkozy pour obtenir la Coupe du monde, le juge Sommerer a pourtant estimé que les faits sont « étrangers » à son enquête. Il a préféré transmettre le rapport de police au Parquet national financier (PNF) le 31 janvier 2020. 

 

 

Le PNF a décidé pour sa part de ne pas ouvrir de nouvelle enquête. Interrogé par Mediapart, le PNF indique avoir choisi de transmettre le rapport à la juge Aude Buresi, chargée de l’enquête sur les soupçons de financement de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy par la Libye.

 

 

Le PNF n’a pas souhaité justifier ce choix, indiquant seulement que le rapport était « susceptible de présenter un intérêt » dans l’enquête menée par la juge Buresi, laquelle a saisi la police le 5 mars 2020 afin de « procéder à des investigations » complémentaires. 

 

 

Les documents déjà saisis par les enquêteurs dans les archives de l’Élysée, consultés par Mediapart, sont des échanges de courriers avec le communicant et publicitaire François de La Brosse. Sa femme est une amie d’enfance de Cécilia Attias, épouse à l’époque de Nicolas Sarkozy.

 

 

En 2006, lors d’un dîner, Nicolas Sarkozy avait demandé conseil à François de La Brosse en matière de stratégie internet. C’est ainsi que le publicitaire a proposé de créer « NSTV », une webtélé qui suivrait en vidéo la campagne du candidat Sarkozy – une innovation à l’époque.

 

Après avoir piloté sa stratégie internet lors de la présidentielle de 2007, François de La Brosse est devenu pendant trois ans conseiller du président Sarkozy. Il a disposé d’un bureau à l’Élysée et réalisé plusieurs sites web pour l’exécutif, dont le site officiel de la présidence.

 

 

Mais il a été brutalement remercié à la suite d’une divergence stratégique. « Je me souviens de ton coup de téléphone, dans l’avion présidentiel en direction du Golfe, m’annonçant que j’étais viré parce que j’avais eu l’audace folle de suggérer que la page Facebook du président n’était pas une bonne idée », écrit François de La Brosse à Claude Guéant, qui était secrétaire général de l’Élysée à l’époque de ce coup de fil.

 

 

Mi-2011, l’agence de communication de François de La Brosse, ZNZ Group (qui opère sous le nom commercial « Z »), traverse de graves difficultés financières. C’est alors que le communicant écrit à Nicolas Sarkozy pour lui rappeler qu’il n’a jamais été rémunéré pour le travail effectué pour sa campagne électorale puis pour l’Élysée.

 

 

Le communicant François de La Brosse en janvier 2007 pendant la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, dont il a réalisé le site internet. © Dominique Faget / AFP

 

 

Selon un autre courrier de François de La Brosse, le président Sarkozy a alors demandé à Claude Guéant, devenu ministre de l’intérieur en février 2011, de l’« aider » en lui trouvant des contrats de communication.

 

 

Le 28 juin 2011, le publicitaire remercie Claude Guéant pour « son appel téléphonique » et détaille les pistes qui mériteraient « une action rapide » : un projet à 2 millions d’euros par an avec EDF, un deuxième à 1,5 million annuel avec la Française des jeux, et deux autres avec le Koweït et le Qatar. 

De la colère…

La piste qatarie est la plus chaude. « J’ai eu un excellent contact à Doha avec le cheik Al Hussain al-Thani, gendre du PM [le premier ministre Hamad ben Jassem al-Thani – ndlr] et président de Q.Media, la plus importante société de communication au Qatar », détaille François de La Brosse dans son courrier du 28 juin 2011.

 

 

Le 2 juillet, sa société ZNZ Group signe un accord préliminaire (« memorandum of understanding ») avec Q.Media en vue de créer une coentreprise à 50-50, qui réaliserait une webtélé nommée « Enjoy Qatar », dédiée à la promotion de l’émirat comme destination touristique.

 

François de La Brosse espère aussi vendre ZNZ au Qatar pour 8 millions d’euros.

 

 

Mais dès le lendemain, l’affaire prend une autre tournure. François de La Brosse vient d’apprendre que s’il ne remporte pas rapidement de nouveaux contrats, sa société va déposer le bilan « tout début septembre ». Il laisse éclater sa colère dans un nouveau courrier à Claude Guéant.

 

 

 

« Malgré ton soutien amical et le fait que le PR [président de la République – ndlr], à travers mon dernier courrier dont il t’a fait parvenir une copie, t’ait demandé de m’aider, me voilà arrivé au bout de cette histoire commencée en septembre 2006, et qui se termine aujourd’hui par le dépôt de bilan d’une entreprise que j’ai créée il y a 31 ans et que naïvement j’ai mis au service du candidat puis du président, écrit-il.

Non seulement je n’ai tiré aucun avantage de cette épopée, mais j’ai été gravement pénalisé. »

 

 

François de La Brosse indique qu’il va « facturer l’Élysée de l’ensemble des prestations réalisées ». Il ajoute qu’il compte aussi rédiger « un livre retraçant toutes ces aventures vécues depuis 1979, année où [il a] fait la connaissance de Cécilia, jusqu’à aujourd’hui ». « Cela va me permettre de mettre en page 5 mots qui résument toute cette épopée : brutalité, cynisme, trahison, égocentrisme, injustice », ajoute-t-il. 

 

 

Le 8 juillet 2011, François de La Brosse revient à la charge dans un nouveau courrier à Claude Guéant : « Ne souhaitant pas importuner le PR avec les problèmes que je rencontre, je reviens vers toi comme convenu pour te faire une synthèse de la situation. » 

 

 

Le publicitaire indique que son commissaire aux comptes « a relevé une liste de travaux réalisés et non facturés par [sa] société de septembre 2006 à aujourd’hui. Il s’agit, au titre de la campagne, et qui concernerait plutôt l’UMP [aujourd’hui Les Républicains – ndlr] : 360 000 euros HT [hors taxes]. En ce qui concerne l’Élysée, s’agissant de [son] détachement et des 14 sites internet réalisés dont celui de l’Élysée, le montant est de 2,12 millions d’euros HT ».

… à la menace

Mais contrairement à ce qu’il écrivait cinq jours plus tôt, François de La Brosse n’a plus l’intention d’envoyer les factures. « Pour des raisons d’évidence, je te sais d’accord avec moi pour éviter absolument que nous en arrivions à facturer l’Élysée ou l’UMP. Il faut trouver vraiment une solution », indique-t-il à Claude Guéant.

 

 

Pourquoi une telle facturation était-elle impossible ? Était-ce parce que les prestations du publicitaire n’avaient pas été déclarées dans le compte de campagne de Nicolas Sarkozy ? Sollicité par Mediapart, l’ancien chef de l’État n’a pas donné suite. Claude Guéant et François de La Brosse ont refusé de répondre.

 

 

Le 28 juillet 2011, le publicitaire envoie un décompte révisé à Claude Guéant : il estime désormais les prestations à 270 000 euros pour la campagne, et à 2,42 millions pour l’Élysée, soit un total de 2,69 millions.

 

 

François de La Brosse se fait menaçant : « Notre commissaire aux comptes va établir les factures. […] C’est, à mon avis, et tu le partageras, une situation qu’il faut absolument éviter compte tenu que nous allons rentrer dans un process incontrôlable sous l’égide du tribunal de commerce. »

 

En clair, si les factures venaient à être versées au dossier de liquidation, l’affaire pourrait s’étaler sur la place publique.

 

Le 12 aout 2011, ZNZ envoie une facture de 600 000 euros à Q.Media au titre du projet de webtélé touristique « Enjoy Qatar ». Deux jours plus tard, François de La Brosse s’envole pour Doha pour faire un point sur le dossier. Mais la société qatarie tarde à verser les fonds.

 

 

Le président Nicolas Sarkozy et le premier ministre du Qatar Hamad ben Jassem al-Thani, le 19 mars 2011 à l’Élysée. © Pierre Verdy / AFP

 

 

Le 6 septembre 2011, le publicitaire écrit à Nicolas Sarkozy en personne pour solliciter un rendez-vous : « Le tribunal de commerce va découvrir des prestations réalisées et non facturées pendant la campagne et pour l’Élysée, pour environ 2,5 millions. Pour éviter ce désastre, avec Claude Guéant, nous avons des pistes mais rien de concret à ce jour. […] J’ai vraiment besoin de ton aide. »

 

 

Coïncidence : au cours de ce même mois de septembre, Q.Media règle la première facture de 600 000 euros. Et ZNZ envoie le mois suivant une seconde facture de 200 000 euros.

 

 

Mais cela ne suffit pas à sauver ZNZ du dépôt de bilan. Le 22 octobre 2011, François de La Brosse écrit de nouveau à Nicolas Sarkozy. « C’est à l’ami et non au président que je m’adresse. Tu sais à quel point je me suis investi à tes cotés. Tu sais aussi que je n’ai jamais été rémunéré pour tout ce que mon équipe et moi avons pu mettre en place tant pour ta campagne que pour l’Élysée. […] Avec Claude Guéant nous avons essayé de vendre Z au Qatar, sans succès pour l’instant. Ce serait la meilleure solution. Ou alors faire quelque chose avec Vincent Bolloré. Dis-moi ce que tu en penses et si tu as le temps parlons-en. » 

Sarkozy répond tout de suite

Le publicitaire revient à la charge le 9 janvier 2012, dans un nouveau courrier au président Sarkozy. Il lui annonce qu’il va bientôt subir une opération chirurgicale, avant d’ajouter : « Comme tu le sais, Z ne s’est jamais remis financièrement de mon engagement auprès de toi. »

 

 

« Très gentiment tu m’avais proposé de m’aider, poursuit-il. Avec Claude, nous nous sommes rapprochés du Qatar, à travers le gendre et neveu du premier ministre qui est le CEO [PDG – ndlr] de Q.Media. »

 

Mais François de La Brosse redoute que le projet de webtélé touristique « n’avance pas assez vite pour éviter [le] dépôt de bilan ». « HBJ [le premier ministre Hamad ben Jassem al-Thani – ndlr] aurait donné son accord, selon l’ambassadeur et Claude. Il faudrait tout simplement accélérer le process », conclut-il.

 

 

Le président Sarkozy répond dès le lendemain. « C’est avec une grande émotion que je reçois le petit mot que tu as eu la gentillesse de m’adresser, écrit-il à son ancien conseiller. Je sais que tu trouveras l’énergie et le courage de passer ce moment difficile. Sois assuré de tout mon soutien. Avec toute mon affection et ma fidèle amitié. »

 

 

Le « soutien » du chef de l’État semble avoir payé. Dans les archives de l’Élysée, les policiers de l’OCLCIFF ont retrouvé un projet de courrier du 22 mars 2012 de François de La Brosse à un individu qu’il qualifie d’« Excellence », et avec lequel il s’est entretenu la veille par téléphone.

 

« Le président Sarkozy, le ministre de l’intérieur Claude Guéant et moi-même étions vraiment heureux de savoir que le premier ministre du Qatar avait accepté de prendre une participation dans le capital de la société Z », écrit-il.

 

 

François de La Brosse ajoute que le projet de webtélé touristique « Enjoy Qatar », d’un montant total de 2 millions d’euros, « est aujourd’hui en stand-by », depuis le paiement en septembre 2011 du premier acompte de 600 000 euros par Q.Media, « au titre du consulting et de la fabrication du projet pilote ».

 

Au moins 600 000 euros ont été versés par le Qatar.

« Le complément est toujours en attente alors que le projet est prêt », conclut François de La Brosse, soulignant que le « cheik Al Hussain al-Thani, CEO de Q.Media, est à mon sens en attente d’un accord définitif pour lancer la JV [coentreprise – ndlr] et la finalisation de la TV “Enjoy Qatar” »

 

 

Un mois plus tard, la société de François de La Brosse envoie une troisième facture de 1,2 million d’euros à Q.Media. Finalement, il a donc facturé 2 millions d’euros au titre du projet « Enjoy Qatar », dont 600 000 euros ont été payés. On ignore si la société qatarie a finalement versé le solde de 1,4 million.

 

 

Nous n’avons pas trouvé trace sur Internet de la webtélé « Enjoy Qatar ».

Interrogé au sujet de ce projet et du travail qu’il a réalisé, François de La Brosse a refusé de répondre. La société Q.Media, qui s’appelle désormais Elan, n’a pas donné suite à nos questions, tout comme l’ancien premier ministre Hamad ben Jassem al-Thani.

 

 

Le « soutien amical » de Nicolas Sarkozy et de Claude Guéant n’a en tout cas pas suffi à sauver l’agence de François de La Brosse. Le premier ministre qatari et son gendre n’ont finalement pas racheté ZNZ Group. En décembre 2012, la société a été placée en redressement judiciaire. Une partie des actifs a été rachetée par une autre société française. Et ZNZ a finalement été placée en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce en 2014.

 

 

Source : Médiapart



07/10/2022
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